Plusieurs a priori entourent les politiques environnementales internationales. Dans l’esprit de nombreux citoyens de par le monde, les États-Unis sont toujours à la traîne de l’Union européenne en ce qui regarde la protection de l’environnement, la coopération multilatérale n’a toujours pas réussi à protéger la nature et les accords sur le commerce affaiblissent les réglementations environnementales. Pour bien des gens, la science a toutes les réponses aux problématiques environnementales tandis que la politique représente l’obstacle aux nécessaires virages en ce domaine.
C’est pour distinguer le vrai du faux dans la perception de la gouvernance environnementale internationale, sujet complexe s’il en est, que le professeur Jean-Frédéric Morin, du Département de science politique de l’Université Laval, Amandine Orsini, professeure à l’Université Saint-Louis Bruxelles, en Belgique, et Sikina Jinnah, professeure à l’Université de Californie à Santa Cruz, se sont lancés dans un ambitieux projet de livre sur le sujet. L’ouvrage, intitulé Global Environmental Politics - Understanding the Governance of the Earth, a paru récemment aux Presses de l’Université d’Oxford.
Selon le professeur Morin, il n’existe pas de solution facile et évidente pour assurer la soutenabilité de la Terre, malgré que la dégradation environnementale soit incontestable à l’échelle de la planète. «Certains instruments internationaux mis en place pour atténuer un problème particulier n’ont conduit qu’à des déplacements de pollution, explique-t-il. D’autres ont contribué à marginaliser davantage des populations déjà vulnérables. À l’inverse, quelques initiatives internationales ont connu des succès inespérés, notamment à propos de la restauration de la couche d’ozone et le rétablissement de certaines espèces de mammifères marins. Plutôt que de simplement inviter les lecteurs à s’insurger contre l’inaction politique internationale, ce livre leur propose d’analyser la gouvernance internationale dans toute sa complexité. Ce faisant, ils remettront peut-être en question certains de leurs a priori.»
Le riche contenu interdisciplinaire du livre est présenté sous l’angle de la science politique, du droit, de l’économique et de la sociologie. Il est axé sur les avancées scientifiques les plus récentes. Les données, elles, sont les plus à jour possible. «Dans mes cours, raconte le professeur, je m’étais aperçu que les étudiants arrivaient avec des idées reçues, des a priori sur les politiques environnementales. Le livre vise à leur apporter un autre éclairage, il vise à faire un travail de déconstruction en leur présentant plusieurs perspectives. Cet ouvrage vient combler un vide. L’approche très descriptive existe dans d’autres manuels scolaires. Notre approche est plus analytique. Elle expose le lecteur à une variété de concepts, théories, méthodes et débats.»
Quatre cents pages d’informations de première main
Global Environmental Politics se veut un cours d’introduction pour étudiants universitaires de premier cycle, des étudiants qui ne se destinent pas à devenir des experts en environnement. Sur 400 pages, auxquelles s’ajoute un site Web contenant une bonne quantité de matériel pédagogique, le livre aborde de front l’ensemble des enjeux environnementaux. Il se subdivise en cinq parties autonomes comprenant deux chapitres chacune. Les auteurs questionnent ouvertement quelques-unes des hypothèses courantes liées à la nécessité de la coopération environnementale internationale. Ils expliquent comment se construisent les intérêts nationaux et comment la contribution d’acteurs non étatiques, comme les ONG et les villes, à la gouvernance environnementale internationale vient en complément aux politiques publiques. L’ouvrage touche aussi aux enjeux relatifs aux ressources naturelles, certaines étant placées sous la souveraineté d’États, alors que d’autres écosystèmes appartiennent au patrimoine mondial.
Les changements climatiques, en dépit de leur importance majeure, ne sont pas le seul enjeu présenté dans le livre. D’autres sujets tout aussi instructifs comme la désertification, les déchets dangereux, la protection de la biodiversité, les pluies acides, l’eau potable, la surpêche et la qualité de l’air aident également à comprendre les politiques environnementales internationales. Les auteurs insistent aussi sur les interactions entre ces politiques et d’autres domaines de gouvernance comme le commerce, le développement et la sécurité.
Plusieurs longs encadrés viennent enrichir la lecture du livre. Les premières pages en donnent un aperçu, abordant des sujets tels que l’anthropocène, le trafic d’animaux et la déforestation. Un encadré est même consacré à la prise de conscience planétaire amenée par l’exploration spatiale. «Les étudiants s’attendent à entendre parler des grands accords internationaux, souligne Jean-Frédéric Morin. Les encadrés permettent d’aller en profondeur sur d’autres enjeux, comme le principe de précaution ou la nanotechnologie. Souvent ces encadrés nous éclairent sur d’autres enjeux. Les encadrés touchent également à des thèmes que l’on perçoit comme émergents.»
Vingt et un accords environnementaux multilatéraux clés
L’une des annexes de l’ouvrage rassemble 21 accords environnementaux multilatéraux clés signés entre 1946 et 2015, soit de la Convention internationale pour la réglementation de la pêche à la baleine jusqu’à l’Accord de Paris sur le climat. Au fil des décennies, bien des enjeux majeurs ont été couverts par de tels accords, notamment la pollution par les navires (Londres, 1973), les substances qui réduisent la couche d’ozone (Montréal, 1987) et les polluants organiques persistants (Stockholm, 2001). Chacune des fiches indique la date d’adoption de l’accord, la date d’entrée en vigueur et le nombre de pays signataires en date de janvier 2019. Il est intéressant de constater qu’à cette date le nombre de signataires ne s’élevait qu’à 37 pour la Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (Canberra, 1980), comparé à 92 pour la Convention de Minamata sur le mercure (Kumamoto, 2013) et à 196 pour la Convention sur la diversité biologique (Rio de Janeiro, 1992).
«L’âge d’or des accords internationaux remonte aux années 1990, rappelle-t-il. On signait avec un certain enthousiasme beaucoup plus d’ententes bilatérales et multilatérales qu’aujourd’hui. Il y avait un consensus autour du développement durable. C’était un concept très fédérateur. Aujourd’hui, certains s’opposent à l’économie verte. Plusieurs voix environnementalistes divergent d’opinion. Un des objectifs du livre est de laisser place à ces différentes voix.»
Le 2 juin, Jean-Frédéric Morin fera une intervention dans le cadre de l’École d’été sur les causes et les conséquences des pandémies, une activité à distance organisée par l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval. Il parlera des interactions entre la gouvernance du climat et celle des pandémies. Selon lui, les deux enjeux partagent plusieurs points communs. «Ils révèlent l’interdépendance internationale qui nous unit, dit-il, ils affectent particulièrement les populations les plus vulnérables, ils exigent une communication fluide entre le monde scientifique et le monde politique, et ils nécessitent des sacrifices économiques de court terme. En fait, la santé des populations humaines et la santé de la planète sont étroitement liées. Il est plus manifeste que jamais que la dégradation des habitats naturels augmente les risques qu’un virus franchisse la barrière des espèces et que la mauvaise qualité de l’air accentue la mortalité des maladies pulmonaires. Néanmoins, les institutions internationales mises en place pour gouverner la santé sont radicalement différentes de celles qui gouvernent l’environnement. Ma présentation interrogera les causes et les conséquences de ces différences.»