11 décembre 2025
Passe-Partout: un programme préscolaire qui change des trajectoires
La diplômée Marie-lin Hamel, qui a analysé les retombées à long terme de ce programme, a vu les conclusions de son mémoire de maîtrise être présentées en novembre au sommet du G20 en Afrique du Sud

Le programme Passe-Partout vise à mieux outiller les parents dans leur rôle de premiers éducateurs et éducatrices de leur enfant de 4 ans. En plus de faciliter l'entrée à la maternelle, ce programme génère, comme le montre Marie-lin Hamel dans son mémoire de maîtrise, des retombées positives jusqu'à la fin du secondaire chez les élèves qui y ont participé.
— Getty Images / Fly View Productions
Marie-lin Hamel n'aurait jamais cru que les résultats de sa maîtrise en économique feraient autant de chemin en si peu de temps. Déposé en 2024, son mémoire montre un lien de causalité entre la participation au programme préscolaire Passe-Partout et la persévérance et la réussite scolaires. «Dans le passé, il y avait déjà eu des études qui montraient que le programme aidait au développement des tout-petits et facilitait la transition vers la maternelle, mais mon mémoire était la première étude qui s'intéressait aux retombées à plus long terme», explique Marie-lin Hamel. Ces nouvelles données ont rapidement trouvé écho auprès du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada (CMEC), qui a choisi de sélectionner Passe-Partout parmi les deux projets qu'il a présentés au dernier G20, tenu à Johannesbourg, en Afrique du Sud, du 22 au 23 novembre.
C'est lors d'un retour aux études que Marie-lin Hamel s'est intéressée au programme Passe-Partout. Après un baccalauréat en administration des affaires à l'Université Laval, la diplômée travaille dans le domaine des finances à la Banque Nationale, puis dans un contexte philanthropique chez Centraide. «J'aimais participer à l'élaboration d'un tissu social, confie-t-elle, mais j'avais l'impression que, pour réduire les inégalités sociales davantage à la source, je pourrais mieux mettre à profit mes compétences mathématiques en travaillant à l'analyse des politiques publiques.» Marie-lin Hamel s'inscrit donc à la maîtrise en économique, où elle rencontre celui qu'elle appelle son «mentor», le professeur Guy Lacroix, titulaire de la Chaire de recherche en évaluation économique des programmes publics.
Dans cette chaire, créée en partenariat avec le Secrétariat du Conseil du Trésor, les étudiantes et étudiants sont invités à appuyer les ministères et organismes dans l'évaluation de l'efficience de leurs programmes. Le professeur Lacroix propose à son étudiante d'évaluer les retombées de Passe-Partout, un programme qui vise à atténuer certaines inégalités scolaires avant même l'entrée à la maternelle. Enthousiasmée par ce projet, Marie-lin Hamel fait son entrée au ministère de l'Éducation (MEQ) comme étudiante stagiaire.
Contrer les inégalités qui se creusent tôt
Dans les années 1970, des recherches qui montraient l'incidence négative d'un milieu socioéconomique précaire sur le cheminement scolaire d'un enfant ont conduit le ministère de l'Éducation du Québec à mettre sur pied le projet Passe-Partout. À cette époque, Passe-Partout comprenait trois volets: la populaire émission de télévision, des cahiers d'activités et un programme d'accompagnement parental. Ce sont les retombées de ce dernier volet – constamment maintenu depuis sa création – qui ont été évaluées par Marie-lin Hamel.
Ce programme, qui s'adresse aux enfants de 4 ans et à leurs parents, vise à renforcer le rôle des parents comme premiers éducateurs et éducatrices par une série de rencontres (pour les parents, pour les enfants et mixtes). Initialement implanté dans des milieux défavorisés, Passe-Partout est aujourd'hui ouvert à toutes les familles québécoises.
Dans son mémoire, Marie-lin Hamel a étudié un échantillon de 162 466 élèves de 6 cohortes ayant amorcé leur première année du primaire entre 2003 et 2008 – soit des cohortes d'élèves qui ont été en mesure de passer toutes les épreuves ministérielles de 4e et de 5e secondaire avant la pandémie. Parmi cet échantillon d'élèves issus de 45 centres de service scolaire (CSS) ou de commissions scolaires anglophones ou à statut particulier (CS), 42 832 avaient participé à Passe-Partout.
Les résultats obtenus montrent qu'une participation à ce programme augmente les résultats à certains examens ministériels de 4e et de 5e secondaire. Elle augmente également la probabilité d'obtenir un diplôme d'études secondaires ou toute autre qualification scolaire et elle diminue la probabilité de redoubler une année scolaire, tant au niveau primaire qu'au niveau secondaire.
«Ces résultats montrent des gains précieux pour une société. Juste de réduire le nombre de redoublements amène à réduire le coût de l'éducation au Québec», affirme Marie-lin Hamel.
Un lien de causalité indéniable
Aujourd'hui, l'essor des nouvelles capacités analytiques offertes par l'intelligence artificielle permet d'améliorer la précision et la robustesse des méthodes d'inférence causale. Ainsi, en combinant les méthodes économétriques et celles issues de l'intelligence artificielle, les économistes peuvent dégager un lien de causalité robuste entre un programme public et des résultats précis.
«Il est essentiel de faire la distinction entre la corrélation et la causalité. Certaines caractéristiques, dites variables confondantes, peuvent influencer à la fois la participation à un programme et les résultats. Cette situation risque d'entraîner un biais, appelé biais de sélection. J'ai donc utilisé une méthode basée sur l'apprentissage automatique causal qui prend en compte les non-linéarités qui existent entre les variables», indique Marie-lin Hamel.

Marie-lin Hamel est entourée de son directeur de maîtrise, Guy Lacroix (à gauche), et de son père, René Hamel (à droite). Le 11 mars 2025, elle a reçu le Prix d’excellence étudiant de la Faculté des sciences sociales dans la catégorie Meilleur dossier de maîtrise avec mémoire.
Selon son directeur de maîtrise, Guy Lacroix, l'intégration de l'intelligence artificielle dans les études en économique change grandement la teneur des résultats de recherche. «Auparavant, dit-il, on mesurait l'effet moyen d'une politique sur un grand ensemble hétérogène de personnes. Maintenant, il est possible d'identifier quel groupe d'individus tire le plus profit d'un programme.»
«C'est tellement précieux de pouvoir générer de telles données», ajoute Marie-lin Hamel, qui fait voir qu'on peut ainsi cibler de manière précise les clientèles pour lesquelles une politique publique engendre le plus d'effets positifs.
Des données québécoises pour changer le monde
Marie-lin Hamel aimerait bien découvrir si le programme Passe-Partout a aussi des retombées significatives à l'âge adulte sur le revenu, l'emploi, la criminalité et la santé. Elle ne sait pas si elle pourra un jour mener une telle étude, mais elle se réjouit pour l'instant que les données générées par son mémoire de maîtrise puissent justifier la pertinence de Passe-Partout et, qui sait, influencer la mise sur pied d'un programme similaire quelque part sur la planète.
«En tant qu'économiste, on travaille les données pour leur donner une forme, une utilité, bref une histoire. Puis, on présente cette histoire aux décideurs, qui doivent jongler avec une multitude de variables et de paramètres. J'étais déjà fière de mon histoire sur le programme Passe-Partout. Qu'elle ait été racontée au G20, c'est la cerise sur le sundae», conclut l'économiste, qui travaille aujourd'hui au MEQ.
























