
La belle-mère de Catherine Picard, Hélène Chamberland, et sa fille Agnès Harvey Picard qui préparent une tourtière, à Saint-André-du-Lac-Saint-Jean.
— Courtoisie
«C'est rare quelqu'un qui n'aime pas la tourtière du Saguenay–Lac-Saint-Jean», lance Catherine Picard, étudiante au Certificat en archivistique à l'Université Laval. Dans le cadre du cours Introduction aux études patrimoniales, elle s'est intéressée à ce mets emblématique de la région pour l'inscrire comme élément du patrimoine immatériel du Québec.
L'importance pour la population
Pour son travail, elle a rempli le formulaire du ministère de la Culture et des Communications, pour lequel elle a dû sonder la population sur l'importance de la tourière et de sa transmission. Catherine Picard s'est d'abord tournée vers sa belle-famille qui réside au Saguenay–Lac-Saint-Jean, posant des questions à toutes les générations. Elle a même interviewé une tante issue de la nation innue. «C'était super intéressant. Elle m'expliquait toutes les pratiques avec la viande de bois, le débitage de l'orignal, et l'apprentissage par sa mère, avec ses sœurs», raconte l'étudiante.
Catherine Picard a ensuite lancé un sondage ouvert au public, partagé par la Société d'histoire du Lac-Saint-Jean et Zone boréale, un organisme de la région qui met en valeur les produits locaux. Elle a récolté les réponses de 833 personnes. Parmi elles, 90% venaient du Saguenay–Lac-Saint-Jean et 75% étaient des femmes.
Elle leur a demandé ce que représentait la tourtière pour eux, comment la tradition leur a été transmise, quels sont les ingrédients qui font une bonne tourtière et quels en sont les accompagnements. «Pour plusieurs, la tourtière est l'ADN de la région. Il y en a même qui disent que ça devrait être reconnu à l'UNESCO», ajoute-t-elle en riant.
Entre rituel et tradition
À travers les réponses reçues, Catherine Picard a observé que la tourtière est principalement liée aux fêtes, aux rituels. «Il y en a à Noël, à Pâques, aux naissances, aux anniversaires, aux mariages et même lors des funérailles. Elle accompagne vraiment de la naissance jusqu'à la mort», précise-t-elle.
Quels sont les ingrédients pour la réussite d'une tourtière? «Le temps, les moments en famille et la dégustation, énumère Catherine Picard. La construction d'une tourtière, c'est collectif.» Elle ajoute plus particulièrement que ce plat contient typiquement trois sortes de viandes, comme du porc, du bœuf, de l'orignal ou du lièvre, des patates, du bouillon et de la pâte.
Le sondage a montré plusieurs versions d'accompagnement, de la salade à la crème aux betteraves marinées, en passant par la salade de macaroni. «C'est comme si chaque famille avait sa tradition.»
Malgré la popularité de la tourtière, l'étudiante souligne l'intérêt de la protéger. Parmi les facteurs fragilisants, elle souligne les habitudes alimentaires changeantes, les familles moins nombreuses, et la diminution du nombre de rassemblements. Elle rappelle que ce sont surtout les personnes de la génération des baby-boomers qui transmettent ce savoir-faire traditionnel, mais elle note un intérêt à apprendre chez les jeunes.
L'origine de la tourtière
En plus du sondage, l'étudiante s'est penchée sur l'histoire de la tourtière. «Beaucoup de gens du Saguenay–Lac-Saint-Jean pensent qu'ils ont inventé la tourtière, mais ça vient de la colonisation, de l'Europe. La tourte était populaire au Moyen Âge. Et le nom tourtière vient du chaudron dans laquelle on la mettait», explique-t-elle.
Catherine Picard souligne d'ailleurs la ressemblance avec le cipaille de Charlevoix. «Les recettes se sont transmises et transformées au fur et à mesure dans la vallée du Saint-Laurent, pour atteindre le lac Saint-Jean en 1830 environ.»
La fameuse tourtière a été plus popularisée dans les années 1960 et 1970. «Avec l'affirmation nationale autour de l'Expo universelle en 1967, on a voulu être fiers de nos produits, de notre identité, indique Catherine Picard. Sa popularité a monté en flèche. On organisait des concours de tourtières.» L'étudiante ajoute que c'est à Desbiens, au Lac-Saint-Jean, que le record Guinness de la plus grosse «tourte aux patates et à la viande» a été établi, avec 12 mètres de long.
Une expérience enrichissante
Catherine Picard a aimé son expérience qui lui a permis d'en apprendre davantage sur les traditions de la région. «C'était intéressant de faire une sorte d'enquête sociologique et ethnographique. Ça m'a fait réaliser à quel point c'est le fun d'aller consulter les gens, d'aller à la rencontre de l'autre.»
Elle salue l'idée de faire remplir ces formulaires par des étudiantes et étudiants. «Il y a peu de gens qui s'attardent à faire ça, car ça demande quand même beaucoup de temps et de la documentation. C'est huit à neuf pages», rapporte-t-elle. Catherine Picard va d'ailleurs soumettre le formulaire au ministère de la Culture et des Communications en janvier, au grand plaisir des adeptes de tourtières.
























