11 décembre 2025
Protection du caribou: les gens des régions appuient le principe, mais s'inquiètent des pertes d'emplois
Il faut cesser de démoniser la foresterie et trouver des solutions concrètes pour minimiser les impacts économiques de la protection du caribou forestier, estime le professeur Jérôme Cimon-Morin

Une enquête réalisée dans l'ensemble du Québec en 2023 indiquait que plus de 80% de la population était en faveur du rétablissement du caribou. Ce pourcentage est presque aussi élevé (72%) lorsque l'enquête est menée uniquement auprès de personnes vivant en région.
— Alain Caron
Les personnes qui vivent en région sont majoritairement favorables à la protection du caribou forestier, mais leur adhésion serait plus forte si on leur expliquait comment on entend remplacer les emplois qui seront perdus dans le secteur forestier. Voilà, en deux mots, le message qu'a livré le professeur Jérôme Cimon-Morin à l'occasion d'une conférence présentée le jeudi 11 décembre dans le cadre de la série «Tire-toi une bûche», organisée par la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l'Université Laval, et à laquelle plus de 140 personnes ont participé.
«Au Québec, la gestion du caribou forestier est l'un des conflits les plus médiatisés entre la conservation de la biodiversité et l'exploitation des ressources naturelles. La survie de cette espèce exige de vastes forêts boréales faiblement perturbées et ces milieux sont également convoités par l'industrie forestière, un secteur d'activité dont environ 150 municipalités du Québec dépendent pour leur survie», a expliqué le professeur Cimon-Morin lors d'une entrevue accordée à ULaval nouvelles avant sa conférence.
En 2023, le professeur du Département des sciences du bois et de la forêt et son collègue Daniel Fortin, du Département de biologie, ont publié les résultats d'une enquête qui indiquait que plus de 80% de la population québécoise était en faveur du rétablissement du caribou et que les pertes d'emplois en foresterie étaient acceptables si elles étaient associées à des mesures de conservation efficaces.

La survie du caribou forestier exige de vastes forêts boréales faiblement perturbées. Ces milieux sont également convoités par l'industrie forestière, un secteur d'activité dont environ 150 municipalités du Québec dépendent pour leur survie.
— John Nagy
«Les résultats suggéraient que ces positions étaient moins populaires en région, souligne le professeur Cimon-Morin. Nous avons voulu savoir si c'était vraiment le cas.» Pour ce faire, l'équipe du professeur a mené une deuxième enquête, en février 2024, auprès de 1398 répondants vivant en région. Du nombre, 665 personnes provenaient de régions où l'on trouve du caribou (groupe région caribou) et 127 personnes avaient un lien direct, ou un membre de leur famille avait un lien direct, avec le secteur forestier (groupe foresterie).
Première surprise, 72% de l'ensemble des personnes sondées considèrent que le rétablissement du caribou est important, et ce pourcentage est pratiquement aussi élevé dans le groupe foresterie (71%) et le groupe caribou (68%). Moins de 5% des personnes sondées jugent que la conservation du caribou n'est pas une question importante.
«Ces résultats dénotent que l'appui en faveur de la conservation et de la biodiversité est également présent en région au Québec. La controverse entourant le caribou n'est pas une simple divergence de vues entre les gens des villes et les gens des régions», analyse le chercheur.
Autre résultat intéressant, 72% des personnes sondées jugent que la réduction des perturbations causées par les activités industrielles est une mesure d'aménagement acceptable pour protéger le caribou. Par contre, mettre des caribous en enclos, réduire les populations d'orignaux (leur présence attire les loups) ou réduire les populations de loups (un prédateur opportuniste du caribou) reçoit l'appui d'à peine 32%, 25% et 45% des personnes sondées.
Sans surprise, une majorité de personnes du groupe foresterie estime que le rétablissement du caribou ne doit pas se faire au détriment des emplois et de l'activité économique en foresterie. «À peine 28% de tous les répondants jugent qu'il est acceptable que la protection du caribou cause des pertes d'emploi», souligne le chercheur.
Stratégie Caribou 2.0
«Il y a un soutien élevé en faveur de la conservation du caribou en région, mais les gens sont inquiets, résume le professeur Cimon-Morin. Ils ne veulent pas perdre leur gagne-pain, ce qui est bien normal. C'est la raison pour laquelle une stratégie “Caribou 2.0” devrait être assortie d'un plan pour pallier les pertes d'emplois et de retombées économiques causées par les mesures de protection.»
Selon le professeur, il est temps de changer la trame narrative du débat. «Pour sortir du conflit d'opinions entre forestiers et biologistes, le message ne doit plus être centré sur les causes du déclin du caribou. Il faut expliquer aux gens comment on va s'y prendre pour diversifier l'économie, limiter les pertes d'emplois et éviter une baisse de l'activité économique dans les régions qui seront touchées par des réductions de coupes forestières. Avec un bon plan, le gouvernement pourrait aller chercher une partie des indécis, qui forment environ 20% des répondants, et des opposants aux mesures de conservation, et atteindre des niveaux d'acceptabilité sociale encore plus élevés.»

























