16 octobre 2024
Pour une intelligence artificielle adaptée à l'enseignement
Ange Tato, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation, réfléchit à l'adaptation des outils de l'intelligence artificielle générative aux réalités de la pédagogie
Le bond effectué par l'intelligence artificielle (IA), avec l'émergence de grands modèles de langage comme ChatGPT, Gemini ou Copilot, a eu des répercussions dans de nombreux champs d'application avec, au premier chef, la pédagogie. Ici comme ailleurs, nombreuses sont les personnes qui réfléchissent aux manières d'adapter l'éducation à ces nouveaux outils, considérés comme alliés ou ennemis. Et si on faisait fausse route?
«L'IA générative n'a pas été créée pour la pédagogie, lance Ange Tato, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation. Lorsque ChatGPT est sorti, ce n'était pas pour devenir un outil éducatif! On tente actuellement d'adapter le système éducatif à cet outil, mais on devrait plutôt penser à développer un outil génératif qui, lui, serait adapté à notre système éducatif.»
Le 25 octobre, la chercheuse, qui s'intéresse à l'apport des algorithmes et des technologies en éducation depuis 2014, fera un tour d'horizon de ses travaux et réflexions lors d'une présentation en mode hybride à l'invitation de l'Institut intelligence et données, dont elle est membre chercheuse.
— Ange Tato
L'IA n'est pas une enseignante
Selon Ange Tato, ChatGPT ne peut pas se substituer à l'enseignante ou à l'enseignant qui «ne fait pas que répondre à des questions». «La personne enseignante, remarque-t-elle, va plutôt prendre le temps de comprendre la question de la personne apprenante, va l'amener à réfléchir sur cette question, à développer sa pensée critique, de sorte qu'elle puisse construire elle-même sa réponse. Bref, l'humain est capable d'amener l'étudiante ou l'étudiant à raisonner, ce que l'IA générative ne fait pas.»
Le rôle de l'IA est actuellement limité aux connaissances, à la mémoire déclarative. «Elle a la connaissance, mais il lui manque actuellement la compétence pour la transmettre adéquatement», ajoute la professeure Tato.
Le fait que le système éducatif s'adapte à l'IA générative, plutôt que l'inverse, pourrait engendrer divers risques, suggère-t-elle en parlant du ralentissement de l'innovation pédagogique ou de l'homogénéisation des approches et méthodes. «Et on sait que la force de l'éducation, c'est la variété de ces méthodes et approches, justement!», fait-elle valoir.
Revoir les façons d'évaluer les acquis
L'IA générative force également à revoir la manière d'évaluer les connaissances et compétences acquises lors des cours. «Il y a des évaluations qui ne marchent plus à cause de l'intelligence artificielle, comme les questions-réponses ou les choix multiples, et tout particulièrement si les personnes étudiantes ont accès à leur ordinateur ou à Internet. Les évaluations du futur, si le contexte s'y prête, devront plutôt faire intervenir des compétences élevées d'un point de vue taxonomique», suggère Ange Tato.
Elle réfère ici à la taxonomie de Bloom, qui permet d'ordonner la complexité des processus cognitifs, du plus simple au plus complexe. La mémorisation des apprentissages – dont l'évaluation est soutenue par des choix multiples ou des questions-réponses – se trouve au bas de la pyramide, alors que tout en haut niche l'idée de créer.
«Au lieu de soumettre la personne étudiante à des questions traditionnelles, on va lui demander, par exemple, de créer une maquette d'un système, de décrire son fonctionnement, de l'évaluer et de commenter le processus de création. Avec l'avènement de l'IA générative, ce qu'on doit évaluer aujourd'hui n'est plus seulement la connaissance, mais la capacité à créer à partir de cette connaissance et le processus qui va amener à cette création», explique la chercheuse.
Accompagner la personne apprenante grâce à un tutorat intelligent
Lorsque la professeure Tato a commencé à s'intéresser au potentiel des outils technologiques il y a une dizaine d'années, l'IA générative n'existait pas encore.
Parmi les idées qui circulaient à l'époque, il y avait celle d'un système tutoriel intelligent, capable d'accompagner les personnes apprenantes en tout temps, sans nécessairement se substituer à l'enseignante ou à l'enseignant. Les outils génératifs pourraient incarner ce potentiel, mais pas tout de suite.
«L'un des problèmes de ces outils, actuellement, réside dans leur comportement, qui n'est pas toujours prévisible. D'une question à l'autre, il est possible que la réponse obtenue ne soit pas toujours la même et ça veut dire qu'on ne peut pas prédire exactement ce qu'ils vont faire lorsqu'ils sont face à une personne apprenante», fait valoir la professeure.
Elle s'interroge sur la transparence de ces modèles de langage. Comment fonctionnent-ils? Sur quelles données sont-ils entraînés? Pourquoi donnent-ils telle ou telle réponse? Sans compter d'autres enjeux comme les biais algorithmiques, l'équité, la qualité de l'information, la protection de la vie privée. Et à quel point les réponses offertes reflètent-elles les réalités géographiques et culturelles de la personne apprenante?
«Après tout, dit-elle, les grands modèles de langage sont entraînés principalement sur des données provenant d'une partie de la planète. Tous n'ont pas été développés à partir d'informations provenant de l'Afrique ou de l'Inde, par exemple.»
Pour remédier à cette situation, la professeure Tato propose de développer des modules experts qui viendraient se greffer aux modèles de language et dans lesquels les réalités sociales pourraient être encodées afin de permettre à l'IA d'adapter sa réponse au contexte et, ainsi, mieux accompagner la personne apprenante.
Au-delà de ces préoccupations, le programme de recherche d'Ange Tato touche également à d'autres usages et enjeux potentiels de l'IA et de son pendant génératif en enseignement. «Je me concentre entre autres à la détection du plagiat en utilisant la modélisation des comportements des personnes apprenantes, et au développement de communautés d'apprentissage basé sur des processus collaboratifs, dans l'idée où les interactions ne se feraient plus en vis-à-vis avec une IA générative, mais avec un groupe de personnes qui interagissent et échangent sur un sujet ensemble, avec le soutien de l'outil génératif.»