
«En veillant su' l'perron par les beaux soirs d'été…», chantait Dominique Michel en 1957. Ces paroles représentent bien l'image, un peu vieillotte, que plusieurs se font des fréquentations, cette relation pudique qui précédait autrefois le mariage. Tombé quelque peu dans l'oubli pendant des décennies, le terme a récemment ressurgi dans le vocabulaire québécois, accompagné de son diminutif freq, pour définir un certain type de relation.
Dans un mémoire de maîtrise intitulé «La fréquentation comme manière d'être ensemble sans être un couple: enquête sur une nouvelle catégorie relationnelle», Myriam Labrecque, étudiante en sociologie et professeure dans ce même domaine au Cégep Limoilou depuis 10 ans, s'est intéressée à ce qu'englobe aujourd'hui le terme. Pour ce faire, elle a cherché à circonscrire cette étiquette relationnelle à partir du sens que lui accordent les individus qui vivent une telle relation ainsi que des arrangements intimes qu'ils mettent en place avec leur partenaire. Elle a donc recruté 6 hommes et 12 femmes, âgés entre 18 et 42 ans, tous cisgenres et hétérosexuels, qui vivent ou ont vécu une relation de fréquentation.
«Je me suis rapidement rendue compte que tous les participants n'emploient pas le mot “fréquentation”. Ils ont d'autres façons de nommer leur partenaire, comme “ami plus plus”, “mon boy”, “la personne que je vois”. Certains parmi les plus jeunes emploient le mot seulement avec leurs parents, parce qu'ils sentent que ce mot peut être porteur de sens pour eux et les sécuriser. Toutefois, même s'ils n'emploient pas eux-mêmes le mot, tous les participants se sont reconnus dans le terme “fréquentation” que j'employais dans mon invitation à participer à l'étude», explique Myriam Labrecque.
C'est donc à partir d'entrevues semi-dirigées et de données qualitatives qu'elle a dressé un portrait de ce qu'est – et aussi de ce que n'est pas – la fréquentation. «La fréquentation se définit d'abord par la négative. Pour tous les participants, la première façon de présenter cette relation, c'est de dire que ce n'est pas un couple», affirme l'étudiante qui souligne que cette «contre-définition» participe grandement au flou qui entoure parfois cette relation.
La fréquentation n'est pas non plus une aventure sexuelle sans lendemain. Plusieurs participants la distinguent nettement d'autres types de relations qu'ils considèrent plus éphémères ou sur lesquels ils formulent des jugements négatifs, comme la relation de fuck friend.
Deux types de fréquentation
Les données recueillies suggèrent qu'il existe deux formes à la fréquentation. La première se rapproche un peu des fréquentations d'autrefois en ce qu'elle est vécue comme une mise à l'essai du couple. Les partenaires ne s'engagent pas de prime abord dans une relation de couple, mais partagent des expériences pour tester si une relation de couple peut être envisagée. La seconde forme voit la fréquentation comme une relation en soi. Les deux partenaires sont moins engagés l'un envers l'autre que les membres d'un couple et conservent une liberté plus grande. Des arrangements intimes doivent donc être négociés, notamment l'exclusivité sexuelle ou non.
«J'ai déterminé ces deux catégories en écoutant et en analysant les divers récits, qu'on pouvait grosso modo classer moitié-moitié entre ces deux formes. Ce qui est intéressant, c'est que plusieurs répondants ne se restreignent pas à l'une ou à l'autre de ces formes. Ils ont vécu les deux types de fréquentation et certains ont même fait des allers-retours entre les deux», indique Myriam Labrecque.
Sexualité et investissement affectif
La sexualité est bien sûr à la base de la fréquentation, mais cette relation ne se limite pas à cette sphère. Elle comporte également un désir d'être ensemble et un certain investissement affectif, même si certains la choisissent précisément pour éviter l'exposition de sentiments. «Les partenaires, confirme Myriam Labrecque, partagent aussi des activités. Par exemple, ils peuvent aller au resto, prévoir des séjours en camping ou en chalet. Certains peuvent même partager des sentiments amoureux.»
Ce qui les distingue surtout du couple, c'est qu'ils ne projettent pas la relation dans l'avenir. «Aucune des personnes rencontrées ne pense sa fréquentation comme devant durer à long terme. L'idée du changement de statut ou de la fin de la relation est présente d'une quelconque manière dans le discours de tous les répondants: soit la fréquentation est pensée comme un moment transitoire entre la période de dating et la relation de couple, soit il s'agit d'une relation que l'on vit dans le moment présent, comme une parenthèse pendant laquelle on s'abstient de définir sa vie intime à longue échéance», déclare Myriam Labrecque. Toutefois, cette parenthèse peut être plus ou moins longue, pouvant s'étirer sur des années parce que chacun des partenaires y voit un avantage et que personne n'y met fin.
Une relation dans l'air du temps
Nouvelle étape dans la série de transformations qu'a connues le couple hétérosexuel au cours des dernières décennies, la fréquentation est en phase avec son époque. Refusant la configuration initiale du couple – soit un mariage monogame, permanent et inégalitaire –, l'intimité relationnelle peut se permettre aujourd'hui de nouvelles perspectives.
«À peu près tous les répondants se sont dit ouverts à la non-exclusivité sexuelle et affective. Toutefois, concrètement, peu de répondants avaient plus d'un partenaire», précise Myriam Labrecque. En ce qui concerne les inégalités de genre, elles n'apparaissent pas de manière flagrante dans ce type de relation, quoiqu'on en retrouve quelques-unes. «On remarque une plus grande prise en charge affective de la relation chez les femmes et un rapport différent à la sexualité», signale l'étudiante.
Les résultats de l'enquête ont toutefois révélé une inégalité un peu plus importante: ce sont plus souvent les hommes qui bloquent la possibilité du couple et proposent la fréquentation comme relation en soi à leur partenaire. «Cependant, dit-elle, les femmes y trouvent finalement leur compte. Les répondantes ont une impression positive de la relation, même si elles ne l'ont pas choisie d'emblée. Plusieurs évoquent une plus grande liberté.»
Le couple, toujours un idéal
Bien que la fréquentation constitue une critique du couple et s'érige comme une option autre pour vivre une intimité relationnelle, la majorité des répondants éprouvent toujours un désir pour le couple. «À trois exceptions près, les personnes rencontrées ont toutes l'ambition de vivre un jour une relation de couple. À vrai dire, la fréquentation n'est pas pensée comme une relation empêchant la réalisation de cet idéal. Au contraire, elle correspond plutôt à une nouvelle possibilité relationnelle dans le parcours de vie d'une personne. De nos jours, la plupart des gens voient leur vie comme une série de rencontres intimes et la fréquentation bonifie simplement le bassin des possibilités», soutient Myriam Labrecque.
Bref, le phénomène social de la fréquentation émerge parce que des personnes décident, ne serait-ce qu'un temps, de vivre hors du modèle du couple. «Les individus négocient des arrangements intimes en marge de ce modèle. Le vocabulaire utilisé pour désigner ces relations est dans ce contexte particulièrement important. Nommer une relation, c'est s'affirmer, se positionner par rapport à ses besoins, à l'autre et à la société. Les mots servent à inscrire la relation dans un univers de sens qui convient aux personnes qui la choisissent et, par le fait même, ces personnes veulent être reconnues et légitimées à travers elle», conclut Myriam Labrecque, qui fait voir que la fréquentation, en passe de s'institutionnaliser, est une autre façon – temporaire, il est vrai – d'être ensemble, voire d'aimer.