Dieynaba a six ans et vit à Dakar, au Sénégal. Des passants ont découvert un jour cette fillette bien habillée, serrant sa poupée contre son cœur. Sur elle, aucun papier, aucune information pour l’identifier. Petit détail: cette enfant autiste ne parle pas. Professeur de droit public à l’Université virtuelle du Sénégal, Abdou Diop témoigne de la vie de cette enfant sans aucune existence juridique, puisque tous ignorent sa nationalité. «Cela fait 4 ans que des démarches juridiques ont été entreprises pour elle, sans succès jusqu’à présent. L’État sénégalais n’accorde la citoyenneté qu’aux enfants de moins de six mois», témoigne le chercheur membre du nouvel Observatoire sur les migrations, l’asile et l’apatridie (OMIRAS) du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient, lancé le 12 décembre.
Ce diplômé, qui a fait sa thèse de doctorat avec le professeur de droit Olivier Delas de l’Université Laval, fait partie du comité de recherche de ce nouveau regroupement, qui va notamment s’intéresser à la question des personnes sans nationalité à travers le monde. Ainsi, un million de personnes vivent avec un statut d’apatride en Afrique de l’Ouest et plus de 10 millions à l’échelle mondiale. Une situation qui les rend particulièrement vulnérables quand ils se déplacent d’un pays à l’autre. Parmi les autres sujets qui mobilisent les chercheurs de l’observatoire, figurent aussi les principales étapes du parcours migratoire, autrement dit le départ du migrant, son transit vers le pays visé, puis parfois son retour sur sa terre d’origine.
«Nous regroupons aussi bien de jeunes juristes que des sociologues, des chercheurs spécialisés en éducation ou des politicologues qui, ensemble, parlent 8 langues, souligne la coordonnatrice Charlène-Rokhaya Jaye. Cela va nous permettre de décloisonner nos recherches, sans nous limiter à des indicateurs statistiques.» Ndeye Dieynaba Ndiaye, qui termine sa thèse de doctorat en droit, a eu l’idée de ce regroupement original, auquel s’associent plusieurs professeurs et universitaires de l'Université Laval, du Canada et d'Afrique. L'un des axes de recherche porte sur les raisons qui poussent des dizaines de milliers de personnes à prendre la route ou la mer chaque année, au risque d’y laisser leur vie. Près de 1150 migrants se sont noyés en Méditerranée seulement dans les 7 premiers mois de 2019 selon l’Organisation internationale pour les migrations, sans parler de ceux et de celles dont les proches n’ont jamais appris le décès.
«La plupart du temps, la vie rêvée qu’ils avaient imaginée se termine en cauchemar, constate la juriste. Avec l’OMIRAS, on aimerait produire des recherches-action pour informer aussi les populations sur les pays de destination, trop souvent idéalisés.» L’Observatoire va également se pencher sur la vulnérabilité des migrants, aux prises avec les barrières érigées par certains États à l’extérieur de leur territoire. À titre d’exemple, Frontex, l’Agence européenne de contrôle des frontières, dispose d’un contingent de nombreux garde-côtes et garde-frontières pour mieux contrôler l’accès des étrangers à l’Europe.
Ces mesures sécuritaires limitent bien sûr les déplacements des uns et des autres entre les pays, mais elles ont aussi des conséquences sur la criminalisation des migrants irréguliers, des demandeurs d'asile et des réfugiés, comme l’a constaté Ndeye Dieynaba Ndiaye dans sa thèse. Par exemple, certains Africains sont arrêtés pour avoir voulu rejoindre les pays du Nord, et incarcérés dans leur pays d’origine ou de transit. Plus que jamais, l’aventure migratoire devient un parcours à haut risque.