Au cours des dernières années, beaucoup d'attention a été portée aux gènes de susceptibilité au cancer du sein tels que BRCA1 et BRCA2. «Les mutations dans ces gènes ont un effet marqué sur le risque de cancer du sein, mais elles sont relativement rares, explique le professeur Simard, qui est rattaché à la Faculté de médecine et au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. On les retrouve généralement chez les femmes qui ont des antécédents familiaux de cancer du sein et qui ont reçu un diagnostic de cancer du sein avant 50 ans. Nos récents travaux ont mis en lumière l'existence d'un grand nombre de variations génétiques plus fréquentes dont l'influence individuelle sur le risque de cancer du sein est faible, mais dont l'effet cumulatif est important. Notre objectif était de tenir compte des deux types de variations génétiques pour en arriver à une prédiction personnalisée du risque pour chaque femme.»
Pour ce faire, plusieurs centaines de chercheurs ont mis en commun les échantillons d'ADN récoltés dans leurs projets respectifs. Ils ont ensuite effectué une analyse génomique sur les échantillons provenant de 94 000 femmes qui avaient eu un cancer du sein et sur un groupe témoin d'environ 75 000 femmes. Grâce à des analyses statistiques sophistiquées, les chercheurs ont mis au point un score du risque multigénique de cancer du sein qui inclut 313 variations génétiques. Ce score a été validé dans une population de 30 000 femmes avec ou sans cancer du sein.
Les chercheurs ont intégré ce risque multigénique à un modèle de prédiction du risque de cancer du sein appelé BOADICEA (Breast and Ovarian Analysis of Disease Incidence and Carrier Estimation Algorithm). Ce modèle, qui tient compte des facteurs de risque génétiques et non génétiques, reposait auparavant sur les mutations touchant uniquement cinq gènes ayant une forte influence sur le risque de cancer. La nouvelle façon de faire permet de mieux stratifier les niveaux de risque de cancer du sein chez toutes les femmes.
Cette percée promet d'avoir des répercussions sur les programmes de dépistage qui, pour le moment, reposent essentiellement sur l'âge. On recommande une mammographie tous les deux ou trois ans pour toute femme de 50 à 74 ans. Toutefois, près d'un cas de cancer du sein sur six survient chez les femmes de moins de 50 ans. «Grâce aux prédictions de BOADICEA, il sera possible d'établir un risque individuel et de proposer une approche de dépistage personnalisée pour chaque femme, peu importe son âge, précise le professeur Simard. Il lui suffirait de fournir un échantillon de salive une seule fois au cours de sa vie, au début de la quarantaine par exemple. Ce test coûtera à peu près le même montant qu'une mammographie, soit environ 100$.»
Une équipe dirigée par Jacques Simard et codirigée par Anna Maria Chiarelli de l'Université de Toronto entend maintenant valider cette approche auprès de 10 000 femmes du Québec et de l'Ontario. «Nous voulons évaluer l'acceptabilité, la faisabilité et l'efficacité d'une approche de dépistage fondée sur le risque. Nous voulons aussi étudier les enjeux organisationnels de l'implantation d'un dépistage personnalisé dans notre système de santé, de même que les coûts et les bénéfices qui y sont rattachés», explique le chercheur. Génome Canada, Génome Québec, les Instituts de recherche en santé du Canada, la Fondation du cancer du sein du Québec, Ontario Research Fund et d'autres partenaires verseront 15,2M$ pour la réalisation de ce projet.