La négligence envers les enfants affecte le développement de leurs habiletés langagières, mais un sous-groupe d’enfants en situation de négligence semble en mesure de combler ce retard au cours de la petite enfance. C’est ce que démontrent les travaux de l’équipe de l’Étude longitudinale sur le langage et la négligence pendant la petite enfance (ELLAN), dirigée par Audette Sylvestre, professeure au Département de réadaptation de l’Université Laval et chercheuse au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale.
L’équipe du projet ELLAN a comparé l’évolution des habiletés langagières de 69 enfants en situation de négligence à celle d’un groupe témoin de 99 enfants. Des outils couramment utilisés dans le domaine de l’orthophonie ont servi à évaluer les habiletés langagières des enfants à 6 reprises entre l’âge de 3 ans et de 5,5 ans, a précisé la professeure Sylvestre à l’occasion d’une conférence présentée dans le cadre du colloque «De la parole aux actes», tous unis pour le développement du langage.
Les analyses ont montré qu’à l’âge de 3 ans, il existe un écart de développement entre les deux groupes d’enfants, et ce, pour chacune des composantes des habiletés langagières mesurées. Dans le groupe en situation de négligence, 16% des enfants présentent des difficultés dans toutes les composantes langagières évaluées.
Par contre, chez 25% des enfants du groupe en situation de négligence, les habiletés langagières évoluent de façon telle qu’ils parviennent à rejoindre celles de groupe de comparaison. «Nous voulons maintenant connaître les facteurs de protection qui permettent à ces enfants de développer leurs habiletés langagières, malgré le contexte de négligence», précise la professeure Sylvestre.
Par ailleurs, l’observation des interactions adulte-enfant a révélé que les parents des enfants en situation de négligence affichaient moins de sensibilité (reconnaître ce qui intéresse l’enfant), de réactivité (réagir de façon à encourager l’enfant à poursuivre l’échange) et de réciprocité (échanger de façon collaborative). «La qualité des interactions est déterminante pour le développement du langage chez l’enfant. Lorsqu’elles sont peu présentes ou de faible qualité, il y a plus de risques que les enfants présentent des difficultés langagières», précise la chercheuse.
En 2019-2020, 63% des enfants de 0 à 5 ans pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse du Québec l’ont été en raison de négligence ou de risque sérieux de négligence. Le langage est le domaine du développement de l’enfant le plus fortement compromis en situation de négligence, rappelle la professeure Sylvestre.
«On ne peut pas laisser les choses aller comme ça. Il faut aider les parents qui vivent dans des conditions personnelles, familiales ou sociales qui augmentent le risque de négligence envers l’enfant, mais on ne peut pas se contenter d’attendre qu’ils aillent mieux. Le développement du langage pendant la petite enfance est trop important. C’est ce qui nous permet d’entrer en interactions avec les autres, de comprendre le monde dans lequel on vit et de réussir à l’école. Les interactions adulte-enfant sont malléables et tous les adultes, pas uniquement les parents, peuvent apporter un soutien au développement du langage chez l’enfant.»