Des dizaines de milliers d’hectares ont flambé en Californie depuis la mi-octobre et de nombreuses personnes ont perdu la vie dans des incendies d’une rare violence. Les vents importants durant l’automne font de cette saison une période propice aux feux de forêt, mais le phénomène s’accentue depuis quelques années. Le professeur Luc Bouthillier du Département des sciences du bois et de la forêt revient sur ce phénomène et évoque les leçons à en tirer ici.
Pourquoi les incendies ont-ils pris une telle ampleur en Californie depuis quatre ans?
En raison des changements climatiques et de la modification du régime de précipitations, les périodes de sécheresse deviennent plus importantes. La forêt s’affaiblit. Les végétaux perdent de leur vigueur avec le manque d’eau. Ils se montrent plus vulnérables aux attaques d’insectes comme le dendroctone du pin, particulièrement présent dans l’Ouest. Pour se défendre, l’arbre émet des coulées de résine plus abondantes. Or, il s’agit d’une substance très inflammable, ce qui contribue à allonger la saison des feux, tout comme la production d’arbres morts. Dans le passé, les incendies s’arrêtaient généralement en octobre, voire début novembre. Aujourd’hui, ils continuent jusqu’en décembre. De plus, leur intensité augmente. Cela s’explique certes par les changements climatiques, mais aussi par notre mode de gestion de la forêt. En Californie, les sous-bois ou la basse végétation s’accumulent au sol depuis un siècle. Il suffit d’une simple étincelle pour que ce combustible s’enflamme et qu’il engendre un incendie d’une énorme intensité. Le feu brûle aussi les grands arbres et se transforme en incendie de couronne, donc dans les hauteurs; il devient ainsi totalement incontrôlable.
Quel rôle joue la gestion humaine de la forêt dans ce scénario?
Dans le passé, il faut se souvenir que les autochtones mettaient parfois le feu à la forêt quand la broussaille devenait trop importante. Cela leur permettait de récolter des plantes comestibles qui poussent bien sur les brûlis, comme les bleuets, ou de chasser des animaux profitant de cet habitat. Avec la colonisation espagnole, puis l’aménagement de la forêt pour récolter du bois, le feu est devenu un ennemi. Beaucoup de moyens sont donc investis pour détecter les incendies et les éteindre le plus tôt possible. Cela fait donc plus d’un siècle que le matériau végétal s’accumule en forêt. On aurait sans doute intérêt à changer de stratégie. L’idée, c’est de prévenir les incendies en ayant recours au brûlage dirigé, même si cela semble contre-intuitif. Il faudrait aussi faire de la sylviculture intensive, notamment de l’éclaircie, pour récolter les petits arbres. On laisserait ainsi plus de place et d’eau aux plus gros.
Quelles leçons peut-on tirer au Canada en matière de prévention des incendies?
Le service canadien des forêts dispose d’un énorme chantier de recherche en gestion du feu. Les gros feux autour de Kelowna en Colombie-Britannique ou de Fort McMurray en Alberta ont fait beaucoup réfléchir. Bien sûr qu’il faut tenter de les éteindre à proximité des habitats humains ou des lignes de transport d’énergie et des pipelines. Par contre, le brûlage dirigé peut constituer une stratégie intéressante pour éliminer les broussailles. Certains l’expérimentent, particulièrement dans l’Ouest. Au Québec, il y a eu une seule expérience dans le parc national de la Mauricie. L’idée avait été suggérée il y a 30 ans par certains intervenants lors d’une Commission sur la protection de la forêt, à laquelle je siégeais. À l’époque, tous les experts avaient rejeté cette initiative, qu’ils jugeaient trop dangereuse. Aujourd’hui, la situation en Californie devrait nous pousser à réviser nos positions. Le Québec n’est pas à l’abri de tels incendies. Même si les changements climatiques risquent de se traduire ici par davantage de précipitations, nous allons aussi subir plus de sécheresses et de canicules. L’indice de feu pourrait donc augmenter dans nos forêts résineuses. La recherche sur les brûlages dirigés doit permettre de trouver les meilleures techniques pour allumer ces brûlages et mettre en place un mécanisme d’encadrement et de surveillance. Et ce, sans oublier de cibler la saison idéale pour agir. Il faut apprendre à utiliser le feu sans mettre le feu partout.