
Pierre-Olivier Méthot, doyen de la Faculté de philosophie, s'est entretenu avec l'écrivaine Hélène Dorion.
— Courtoisie
Dans une ambiance conviviale et recueillie, un public de tous horizons s'est rassemblé le 9 octobre à l'auditorium Jean-Paul-Tardif du pavillon La Laurentienne pour écouter l'écrivaine Hélène Dorion. Elle était l'invitée des Entretiens du 90e de la Faculté de philosophie avec le doyen Pierre-Olivier Méthot.
En prélude à cette soirée, le professeur de littérature Michaël Trahan a souligné l'exceptionnalité du parcours d'Hélène Dorion, rappelant l'ampleur d'une œuvre vaste, nourrie par la pensée philosophique. Il a salué chez elle une écrivaine de grand talent, d'une rare gentillesse et d'une générosité constante, une écrivaine dont les paroles sèment en d'autres le désir de prendre la plume à leur tour.
Pierre-Olivier Méthot a ensuite reconstitué le parcours d'une jeune Hélène Dorion dans les corridors de l'ancienne Tour des arts, l'ancêtre du pavillon Félix-Antoine Savard, retrouvant dans les archives de Bibliothèques et Archives Canada des lettres, des notes de cours, des articles et ses premiers poèmes publiés dans les revues étudiantes. Ces fragments du passé ont suscité la surprise et l'émotion de l'invitée qui, en même temps que l'auditoire, revivait le temps d'un soir son cheminement d'étudiante.
La philosophie, une vocation
Le doyen a présenté au public une lettre rédigée par Hélène Dorion alors qu'elle avait 19 ans, dans laquelle elle exposait avec lucidité et maturité les raisons qui l'avaient conduite vers la philosophie. Elle y évoquait, entre autres choses, la déception des parents, qui la destinaient au droit, sans toutefois lui imposer des obstacles pour emprunter finalement la voie de la philosophie. Car la philosophie était un second choix de carrière, qui s'est vite imposé comme une vocation profonde, née de sa curiosité intellectuelle et de sa quête de sens.
C'est en 1977 qu'elle commence donc son aventure à la Faculté de philosophie – une aventure marquée par une forte implication dans la vie étudiante, notamment au sein de revues et d'associations facultaires.
Pour Hélène Dorion, la philosophie représentait un véritable «buffet de connaissances», un lieu d'ouverture où elle pouvait «goûter à tout»: épistémologie, éthique, esthétique, Platon, Nietzsche, Sartre… Elle y découvrit un espace d'une liberté rare, où le désir constant de connaissance orientait le mouvement de sa pensée.
De cette période d'apprentissage, elle retient avant tout deux portes d'entrée vers le monde: le questionnement et l'émerveillement. Deux notions qui n'ont jamais cessé d'habiter sa littérature. La philosophie lui a donné cette capacité de questionner, de suspendre la réponse, d'habiter la complexité; l'émerveillement, lui, lui a appris à ne jamais tenir pour acquis le simple fait d'exister.
Vivre la philosophie autrement
Dans son mémoire de maîtrise Hors champ, Hélène Dorion se confie: «J'ai quitté la philosophie comme on quitte un amour; en ayant la certitude de pouvoir la revivre ailleurs, sous d'autres formes.»
Ce passage ne s'est pas fait dans la rupture absolue, car la philosophie vit dans sa littérature, et la littérature, dans sa philosophie. Les documents présentés par le doyen l'ont d'ailleurs démontré. Dès ses textes d'étudiante, Hélène Dorion réfléchissait à des sujets qui l'accompagneront toute sa vie littéraire: la «résolution des contraires», le corps et l'esprit, la nature, les origines, la création.
Cette fidélité trouve ses racines dans la lecture des penseurs qui ont marqué sa jeunesse. D'abord Nietzsche, dont La naissance de la tragédie l'a fascinée par la tension entre l'apollinien (principe esthétique incarnant la mesure, la clarté, l'ordre et la maîtrise de soi) et le dionysiaque (principe opposé, associé à l'ivresse, au chaos, à l'élan vital et à la fusion avec le collectif), puis Camus, qui lui a révélé la puissance d'un questionnement sans réponse.
La poésie lui a offert ce que la raison philosophique ne parvenait pas à contenir: l'émotion, le débordement, le désir, le chaos, ces forces de vie que la pensée conceptuelle peine parfois à saisir. Par la poésie, Hélène Dorion a réintroduit dans la pensée la part sensible du monde, cette vibration qui permet de ressentir autant que de comprendre. «La raison limitait la vie, l'être humain. Elle ne le reflétait pas dans toute sa globalité», insiste-t-elle.
Une œuvre reconnue internationalement
Lors de la rencontre, le doyen a rappelé la portée internationale de l'œuvre d'Hélène Dorion, couronnée par de nombreux prix et distinctions: grand prix de poésie de l'Académie française, chevalière de l'ordre des Arts et des Lettres de la République française, chevalière de l'ordre de la Pléiade…
Il a notamment évoqué Mes forêts, publié en 2021. Ce recueil est aujourd'hui inscrit au programme du baccalauréat de français, une épreuve emblématique de fin de scolarité du secondaire en France. Pour Hélène Dorion, cette reconnaissance dépasse la distinction littéraire. Écrit durant la pandémie, ce recueil témoigne du lien étroit avec la nature. «J'ai deux maîtres: le livre et la nature», affirme-t-elle. La nature n'est pas juste décor, elle est une véritable source de pensée. Elle questionne autant qu'elle répond; elle est interlocutrice et source de réflexion.
Cet ouvrage est aussi un acte de transmission. Il est devenu l'occasion d'un dialogue précieux avec les élèves, une manière d'aller à leur rencontre, de leur transmettre la poésie comme une compagne de vie, plutôt que comme un objet d'analyse circonscrit à un programme scolaire.






















