L'histoire, plusieurs la connaissent: Eurydice meurt le jour de son mariage après avoir posé le pied sur un serpent venimeux. Orphée, ayant perdu la femme de sa vie, descend aux Enfers pour tenter de la ramener dans le monde des vivants.
Comment réactualiser un mythe qui a inspiré tant d'écrivains, de dramaturges, de chanteurs d'opéra, de cinéastes? C'est le défi auquel s'est attaquée Isabelle Hubert en acceptant de signer le texte de la pièce Le mythe d'Orphée, à l'affiche du Théâtre du Trident du 23 avril au 18 mai. Mise en scène par Frédérique Bradet et Alan Lake, cette production d'envergure marie danse et théâtre.
Une adaptation contemporaine d'un récit de la mythologie gréco-romaine dans un spectacle dansé et joué par une dizaine d'interprètes: l'autrice reconnait être sorti de sa zone de confort avec ce projet. «L'initiative provient du chorégraphe Alan Lake avec sa compagnie, Alan Lake Factori(e). Pour contrebalancer l'aspect abstrait de la danse, l'équipe cherchait un auteur de théâtre avec une plume forte pour apporter du concret. Un tel contrat, ça ne se refuse pas. L'avantage de vieillir, c'est d'acquérir de l'expérience. Je me sentais les reins assez solides pour me lancer dans ce projet», raconte Isabelle Hubert.
Il faut dire que la dramaturge n'en est pas à sa première adaptation d'une œuvre emblématique. De Moby Dick à Agaguk, en passant par Les Plouffe, on lui doit de nombreuses pièces où elle aurait pu se casser les dents. Chaque fois, elle s'assure de garder ses distances avec les multiples versions du récit pour se concentrer sur l'œuvre originale.
Puisqu'il est impossible de remonter aux origines du mythe d'Orphée, elle s'est tournée vers… la littérature jeunesse. «Ma stratégie a été d'aller à la bibliothèque pour sortir cinq ou six livres pour enfants qui racontaient cette histoire. Je voulais avoir les éléments clé du récit sans trop de détails ou de couleurs artistiques. À travers ces livres, j'ai constaté que personne n'avait la même histoire. C'est typique des mythes: il existe quelques grandes lignes, mais pas de source immuablement fiable, ce qui laisse beaucoup de liberté pour une adaptation.»
— Isabelle Hubert
Inspirée par les thèmes très modernes qui ressortent de l'épopée funeste d'Orphée, Isabelle Hubert a travaillé de concert avec les metteurs en scène, les danseurs et les comédiens pour écrire la pièce. Un processus collaboratif qui n'a rien à voir avec sa démarche habituelle. «Normalement, l'auteur travaille dans son coin, assiste aux premières lectures, puis laisse l'équipe faire ses répétitions. Cette fois, nous avons travaillé pendant plusieurs semaines sur le texte. J'ai écrit et réécrit différentes versions en y apportant des changements jusqu'à la dernière minute.»
De son propre aveu, ce mélange d'éléments chorégraphiques et dramaturgiques a représenté tout un casse-tête. «Le monde du théâtre et celui de la danse parlent avec des mots communs, mais qui n'ont pas la même signification. Mon plus beau cadeau dans cette aventure est d'avoir découvert l'univers de la danse. Les danseurs m'impressionnent: ils travaillent avec leurs corps comme je travaille avec mon ordinateur.»
À quelques jours de la première, l'autrice espère que les spectateurs aient le même plaisir à plonger dans cet univers. «Pour des gens habitués au théâtre, la danse contemporaine peut sembler abstraite ou étrange. Avec cette pièce, on offre des clés pour qu'ils puissent tisser des liens, un peu comme si la couche d'inconscient se matérialise. C'est de toute beauté.»
Le feu sacré de l'enseignement
En plus de prêter sa plume à des metteurs en scène pour mille et un projets, Isabelle Hubert enseigne à l'Université Laval et au Conservatoire d'art dramatique de Québec depuis bientôt 20 ans.
Pour elle, l'enseignement est un rêve qu'elle caressait depuis longtemps. «Quand j'étais petite, avant même d'avoir un coup de foudre pour le théâtre, je voulais être prof, comme ma mère. Quand je marche dans les couloirs d'une école avec mon cartable, je me sens bien», dit celle qui donne le cours Écritures dramatiques au Département de littérature, théâtre et cinéma.
Ce qui l'anime par-dessus-tout: transmettre à ses étudiants des outils pour qu'ils puissent pousser plus loin leur création, sans toutefois trop influencer leur écriture. En d'autres mots, jouer le rôle de mentore, pour reprendre un terme issu de la mythologie.
«En vieillissant, on peut vite devenir has been, lance-t-elle en riant. Travailler avec les jeunes me garde vivante, connectée avec ce qui se trame dans leur tête et me donne l'impression de savoir dans quel monde je vis. De plus, l'enseignement me force à réfléchir constamment à l'écriture. En enseignant depuis toutes ces années, je continue moi-même ma formation.»