«La guerre s'est déclenchée et la vie est devenue compliquée. Il y avait des bombardements partout. Ma fille était malade, mais il n'y avait pas de médecin.» «Mon mari travaille au Liban et en Irak. Il envoie l'argent et moi, je gère les finances.» «Je suis au Cégep Sainte-Foy. J'aime beaucoup aller à l'école pour voir mes amis, mais le français, c'est très difficile.»
La thèse de doctorat de Mariá Boeira Lodetti pullule de témoignages du genre qui montrent la diversité des défis que doivent surmonter ceux qui quittent leur pays pour des raisons de sécurité. Sous la codirection des professeures Stéphanie Arsenault et Lucienne Martins Borges, l'étudiante en travail social a interviewé 17 réfugiés syriens arrivés à Québec entre 2016 et 2017. L'objectif: mieux comprendre leur expérience d'intégration dans ce nouveau milieu.
«Leur parcours, comme toute immigration forcée ou volontaire, est marqué par la perte, la séparation et la rupture. Ces personnes doivent tout reconstruire. À leur arrivée ici, elles ne maîtrisaient pas le français et n'avaient jamais vu de neige. Certaines ont eu l'impression d'atterrir sur une autre planète tellement les changements étaient grands», relate celle qui s'est intéressée aux obstacles vécus, mais aussi aux facteurs favorisant l'intégration. C'est donc à partir de ces données qualitatives qu'elle a dressé un portrait de la situation tout en proposant des recommandations pour mieux accompagner les réfugiés syriens.
Pour récolter tous ces témoignages vibrant d'authenticité, la doctorante a fait appel à une technique d'entrevue peu utilisée en travail social, le parcours commenté, qui consiste à marcher avec la personne tout en lui posant des questions. Ces entretiens semi-dirigées se sont déroulés en deux étapes: d'abord chez les réfugiés, puis à l'extérieur de leur domicile.
Pour ce second volet, les participants étaient invités à établir un itinéraire qu'ils jugent important dans leur quotidien ou lié à leur passé. «Le parcours commenté est une méthode d'entrevue plus informelle et conviviale qui permet d'établir un lien de confiance et d'équilibrer le rapport de pouvoir entre chercheuse et participants. De plus, il leur a permis de s'ouvrir sur certains sujets délicats», indique Mariá Boeira Lodetti.
Depuis 2011, rappelons-le, la Syrie est en proie à une guerre qui implique plusieurs acteurs. Le Canada a renforcé l'accueil de réfugiés après la publication d'une photo du corps sans vie d'un enfant syrien échoué sur une plage turque en 2015. À Québec, entre janvier 2015 et juin 2019, ce sont plus de 800 personnes qui se sont établies avec l'aide d'un organisme communautaire mandaté par l'État, le Centre multiethnique de Québec.
En marchant dans les rues de leur quartier avec Mariá Boeira Lodetti, les réfugiés ont pu donner leurs impressions sur les services qui y sont offerts, comme les épiceries, les pharmacies, les écoles ou le transport en commun. «Québec demeure une ville conçue pour la voiture. Plusieurs réfugiés habitent en banlieue. Les participants de mon étude qui sont mariés ont en moyenne six enfants par famille, d'où l'enjeu des déplacements. L'autonomie que procure un permis de conduire fait partie des facteurs facilitant leur intégration.»
Autre enjeu abordé: la distance avec le reste de la famille restée en Syrie ou dans les pays voisins. «Pour plusieurs personnes d'origine syrienne, la famille élargie a un rôle très important dans l'éducation et la vie des enfants. Une fois arrivées ici, ces couples se retrouvent seuls. Sans le soutien familial, ils ne peuvent s'investir autant qu'ils le voudraient, par exemple dans la francisation, puisqu'ils n'ont personne pour prendre soin de leurs bébés. S'ajoute le manque de places en garderie qui amplifie les impacts.»
La chercheuse s'est aussi intéressée aux conséquences de la parentification, c'est-à-dire l'inversement des rôles dans les familles. En ayant une meilleure maîtrise du français, les enfants portent souvent le chapeau d'interprète et doivent accompagner leurs parents pour leurs consultations médicales et autres rendez-vous. Ce renversement des rôles peut avoir des répercussions négatives autant pour l'intégration du jeune que pour celui de l'adulte.
Par ailleurs, Mariá Boeira Lodetti a remarqué que les réfugiés ont peu recours aux ressources d'aide qui sont à leur disposition. «Même s'ils ont été accueillis par le Centre multiethnique de Québec à leur arrivée, les réfugiés ne connaissent pas forcément les nombreux organismes communautaires que l'on retrouve dans la ville.»
Parmi les facteurs favorisant une meilleure intégration, Mariá Boeira Lodetti cite l'accès des femmes au marché du travail. Sur les 14 participantes de son étude, aucune n'avait d'expérience de travail en Syrie. À leur arrivée, certaines se sont tournées vers l'entreprenariat en faisant découvrir la culture culinaire de leur pays. Le fait d'avoir un emploi a contribué à améliorer leur autonomie et leur estime de soi, constate la chercheuse.
Elle insiste aussi sur l'importance pour les réfugiés de maintenir leurs pratiques traditionnelles et leurs rituels, la religion, comme la nourriture, étant un élément clé de leur appartenance culturelle.
— Mariá Boeira Lodetti
Du Brésil au Québec
Originaire du Brésil, Mariá Boeira Lodetti s'est intéressée au sort des réfugiés en grandissant dans un milieu multiculturel. Psychologue de formation, elle a travaillé à la Clinique interculturelle de l'Université fédérale de Santa Catarina auprès d'immigrants ayant fui leur pays en raison de la guerre ou de persécutions. Un séjour d'études à Québec l'a incité à poursuivre ses recherches dans ce domaine, cette fois sous l'angle du travail social.
«Mon séjour coïncidait avec l'arrivée massive de Syriens au Canada, au Québec et à Québec, dit-elle. Dans mes activités cliniques et de recherche, j'ai toujours été intriguée par la façon dont ces personnes qui n'ont pas fait le choix de partir reconstruisent leur vie après avoir subi des blessures psychologiques. En faisant un stage à l'École de travail social, j'ai découvert la façon dont cette discipline permet d'étudier l'influence du contexte social sur leur vécu.»
Sa thèse terminée, Mariá Boeira Lodetti travaille maintenant comme chargée de cours à l'École de travail social et professionnelle de recherche au RAIV, un centre qui se consacre à l'étude des violences intimes, familiales et structurelles. Pour elle, ce mandat est en continuité avec ses recherches doctorales. «Je coordonne un projet qui réunit des chercheurs à travers le Québec, des partenaires et des personnes qui ont vécu des violences intimes, familiales ou structurelles. Notre but est d'identifier des facteurs clés favorisant la sortie de ces violences.»
Parallèlement à ses tâches universitaires, Mariá Boeira Lodetti continue de pratiquer la psychologie à temps partiel. Sa clientèle est constituée majoritairement de réfugiés et de demandeurs d'asile. «La rencontre avec les réfugiés syriens qui ont accepté de participer à ma recherche a énormément nourri ma formation et ma pratique. Je suis très reconnaissante envers ces personnes pour tout cela», conclut-elle.