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Le 91e Congrès de l’Acfas est en cours depuis le 13 mai à l’Université d’Ottawa. La programmation comprend notamment plus de 400 communications libres accessibles en ligne. L’une d’elles porte sur le projet de recherche de Catherine Ouellet, candidate à la maîtrise en sciences forestières à l’Université Laval. Elle mène son projet sous la direction du professeur Jean-François Bissonnette, du Département de géographie, et du professeur associé Louis Lesage, du Département des sciences du bois et de la forêt. Le sujet de sa présentation à l’Acfas s’intitule «Coconstruction de mesures de gestion et de conservation de la faune au Québec: les enjeux et défis dans un contexte de gestion collaborative?»
«Mon projet de recherche est centré sur l’orignal, une espèce animale omniprésente sur le territoire québécois et ayant une grande valeur sur les plans culturel, social, écosystémique et économique, notamment pour plusieurs communautés autochtones, dont la nation huronne-wendat en tant que gibier, explique Catherine Ouellet au début de son exposé. Mon projet vise à connaître les dynamiques de gestion de la grande faune dans trois territoires publics, la réserve faunique des Laurentides et les secteurs A et B de la Forêt Montmorency de l’Université Laval. La superficie de ces territoires situés au nord de Québec totalise plus de 8000 kilomètres carrés.»
Les activités de chasse à l’orignal sont permises dans la réserve faunique des Laurentides et dans le secteur B de la Forêt Montmorency. Les statistiques relatives aux chasseurs autochtones ne sont pas disponibles. En ce qui concerne les chasseurs allochtones sur les mêmes territoires, il n’existe qu’un type de statistiques relatives aux groupes de chasse par zone de chasse. «Il s’agit soit d’un groupe simple de 2 à 4 chasseurs, ou d’un groupe double de 4 à 8 chasseurs, souligne l’étudiante. Par exemple, pour la saison de chasse 2023, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) a permis l’accès de chasse à 298 groupes sur l’intégralité de la réserve faunique des Laurentides.»
La chasse à l’orignal contrôlée dès 1962
Catherine Ouellet rappelle que la chasse à l’orignal contrôlée a débuté en 1962 dans ce qui s’appelait alors le parc des Laurentides. Mais ce n’est qu’en 1994 que le ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec a créé le premier Plan de gestion de l’orignal. Trois autres ont suivi.
«L’inventaire aérien de 2009 a permis d’obtenir le plus haut taux d’orignaux sur le territoire étudié depuis l’instauration du premier plan, soit environ 4,5 orignaux aux 10 kilomètres carrés, indique-t-elle. Mais on remarque un relâchement de l’état de suivi de la population au troisième plan. Les prédictions des chercheurs allaient dans le sens d’une population à la hausse pour les années suivantes.»
À l’hiver 2020, un inventaire aérien a été effectué par le ministère des Forêts en collaboration avec la communauté huronne-wendat, la communauté innue de Mashteuiatsh, la SEPAQ et la Fondation de la faune du Québec. «Cet inventaire, poursuit-elle, a révélé la densité la plus faible depuis 1994, soit environ 2,19 orignaux aux 10 kilomètres carrés, et ce, malgré les cris d’alarme de plusieurs communautés locales et autochtones.»
Selon l’étudiante, si de trop fortes densités d’orignaux peuvent nuire à la régénération forestière, une chasse intensive peut causer une diminution de l’espèce. La réduction du cheptel peut entraîner des impacts négatifs pour les communautés qui s’en nourrissent ou qui bénéficient des retombées liées à la chasse.
D’abord des relations sociales à gérer
Dans le cadre de sa recherche, Catherine Ouellet vise à mettre au point des mesures de gestion collaborative et adaptative de la population d’orignaux et de leur habitat. Cela doit se faire avec la collaboration des différents intervenants autochtones et allochtones qui partagent la ressource.
Selon elle, la gestion du territoire ne porte pas que sur la gestion de ressources naturelles. «Elle porte avant tout, dit-elle, sur la gestion de relations sociales entre les utilisateurs de la forêt.»
Des recommandations de la Nouvelle-Zélande
Comment mieux repenser le rôle des peuples autochtones dans le développement et la protection de la ressource? À cette question, l’étudiante répond par une série de recommandations formulées par des chercheurs de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Zélande. L’une d’elles vise la compréhension de l’histoire coloniale, qui a influencé les décisions de gestion des terres. Une autre consiste à consulter de manière significative les peuples autochtones et les inclure dans toutes les structures et processus de prise de décision.
Pour créer une revue de littérature complète, elle s’est basée sur des termes liés aux savoirs écologiques traditionnels autochtones et sur des termes liés aux connaissances scientifiques contemporaines. Elle a également considéré des termes liés aux espèces et aux habitats, comme «cervidés» et «forêt boréale», ainsi que ceux liés à la mise en commun des savoirs.
Des outils de suivi
«À ma connaissance, explique Catherine Ouellet, plusieurs communautés autochtones du Québec, durant leurs périodes de chasse respectives, utilisent une application semblable au Moose Survey créée à l’Université d’Alberta pour compiler les données sur les orignaux. Cet outil permet le suivi des populations d’orignaux en temps réel avec la collaboration des utilisateurs de la forêt.»
Pour sa part, l’étudiante utilise le concept du two-eyed seeing. «Ce concept se veut une compréhension globale de l’environnement en intégrant différentes connaissances, explique-t-elle, celles des autochtones et celles des scientifiques occidentaux. Les concepts clés des premiers sont notamment le respect, les relations et la responsabilité. Les concepts théoriques clés occidentaux comprennent l’hypothèse, les tests et l’analyse de données.»
Selon elle, les défis et enjeux entourant la gestion collaborative et adaptative de l’orignal et de son habitat toucheront au partage des pouvoirs, à la valorisation des connaissances et à la combinaison de ces mêmes connaissances.
La complémentarité des savoirs
Une des étapes de la recherche de Catherine Ouellet consiste en une série d’entrevues avec des intervenants autochtones et allochtones. Les échanges se poursuivent depuis janvier 2024 en personne ou à distance. Selon le professeur Jean-François Bissonnette, les participants se disent soucieux de l’évolution du cheptel d’orignaux et souhaitent collaborer afin d’assurer une meilleure gestion de la ressource. Il ajoute que les résultats préliminaires de la recherche permettent de mieux comprendre le processus de coconstruction des mesures basées sur la complémentarité des savoirs autochtones et scientifiques.
«Chaque méthode de suivi des populations d’orignaux comporte des forces et des faiblesses, poursuit-il. La combinaison des méthodes peut donc assurer une plus grande complémentarité. La connaissance des dynamiques écologiques de la part des communautés autochtones permet d’identifier des relations de causalité entre divers facteurs biotiques, tels que la composition végétale, les prédateurs, les parasites et autres. Les autochtones ayant une connaissance fine du territoire sont à même de remettre en question, de préciser ou de modifier les données d’inventaires fauniques.»
L’analyse des données doit encore être complétée. Mais des pratiques innovantes en matière d’harmonisation des usages, de gestion et de conservation de la grande faune se dégagent.
«Les types de coupe forestières doivent être conçus en fonction de la dynamique de la grande faune, soutient le professeur, selon qu’il s’agisse d’une phase de croissance ou de déclin de la population. Il faut également penser à la prédation, accentuée par la fragmentation des habitats causée par la création de chemins forestiers. Les nouveaux parasites, comme la présence de tiques d’hiver, représentent une autre problématique.»
Le projet de recherche reçoit du soutien professionnel et logistique provenant d’un plus large projet financé par le gouvernement du Québec intitulé «Recherche d’un régime d’équilibre sylvo-cynégétique permettant l’atteinte des objectifs d’aménagement forestier». Ce projet est sous la direction du professeur Jean-Pierre Tremblay, du Département de biologie de l’Université Laval.