
Les scientifiques ont récolté des cladonies étoilées, communément appelées lichens des caribous ou mousse à caribou, dans des milieux naturels relativement distants des activités humaines.
— Getty Images/Grigorii Pisotckii
Une étude publiée par une équipe de l'Université Laval dans la revue Annals of Botany suggère que certaines régions reculées du Québec ne seraient pas épargnées par le phénomène de dispersion atmosphérique des gènes de résistance aux antibiotiques. En effet, cette équipe rapporte la présence de certains gènes de résistance aux antibiotiques typiquement associés à des activités humaines sur des lichens qui poussent dans un parc relativement isolé de Charlevoix ainsi que dans le nord du Québec.
Les lichens en question sont des cladonies étoilées, communément appelés lichens des caribous ou mousse à caribou. Ils forment de vastes tapis dans les zones ouvertes des pessières à lichens. «Tout ce qui arrive du ciel dans cet écosystème se retrouve sur ces cladonies. En plus, en raison de leur biologie, ces lichens absorbent facilement ce qui se trouve dans l'air autour d'eux», signale la première auteure de l'étude, Marta Alonso-García.
L'équipe de recherche a comparé le type et l'abondance de gènes de résistance aux antibiotiques dans deux populations de cladonies étoilées. La première se trouve dans le parc national des Grands-Jardins, dans Charlevoix, et la seconde près du village de Kuujjuarapik-Whapmagoostui dans le nord du Québec.
Les scientifiques ont concentré leurs efforts sur une trentaine de gènes de résistance à des antibiotiques utilisés en médecine et en agriculture. Leurs analyses, qui ont porté sur un total de 42 échantillons de lichens, ont révélé la présence de 10 gènes de résistance sur les cladonies des Grands-Jardins et de 5 gènes de résistance sur celles du nord du Québec.

Les cladonies étoilées forment de vastes tapis dans les zones ouvertes des pessières à lichens. «Tout ce qui arrive du ciel dans cet écosystème se retrouve sur ces cladonies. En plus, en raison de leur biologie, ces lichens absorbent facilement ce qui se trouve dans l'air autour d'eux», signale la chercheuse Marta Alonso-García.
— Claude Morneau
Les gènes les plus fréquemment observés confèrent une résistance aux bêta-lactamines et aux quinolones, deux familles d'antibiotiques fréquemment prescrits pour traiter des infections chez l'humain ou chez les animaux. «Certains de ces gènes sont plus fréquents sur les cladonies des Grands-Jardins que dans le nord du Québec. Cela pourrait s'expliquer par la proximité de ce parc des zones du Québec où se déroulent des activités humaines – agriculture, hôpitaux ou traitement des eaux usées – qui peuvent servir comme sources de bactéries résistantes pouvant être dispersées par voie atmosphérique», avance Marta Alonso-García.
Toutefois, prévient-elle, on ne peut pas écarter la possibilité que ces gènes de résistance puissent aussi provenir de bactéries associées au microbiome naturel des lichens. En effet, tout comme le font de nombreuses espèces, les lichens produisent des molécules – des antibiotiques – qui servent à inhiber la croissance de compétiteurs ou de microorganismes pathogènes.
«L'exposition prolongée à ces molécules pourrait amener certaines bactéries à développer des mécanismes de résistance, explique la chercheuse. Ainsi, la présence de gènes de résistance aux antibiotiques chez les bactéries du microbiome lichénique est possible, même en l'absence d'une influence anthropique directe. Les données dont nous disposons ne permettent pas d'établir hors de tout doute la provenance des gènes de résistance détectés sur les lichens.»
À la mi-octobre, l'Organisation mondiale de la santé rendait public un rapport qui révélait qu'à l'échelle mondiale, les bactéries résistantes aux antibiotiques étaient responsables de 17% des infections humaines confirmées par tests de laboratoire en 2023. La dissémination par voie atmosphérique de bactéries porteuses de gènes de résistance aux antibiotiques contribuerait à la globalisation du problème.
Les signataires de l'étude publiée dans Annals of Botany sont Marta Alonso-García, maintenant professeure à l'Université de Murcia en Espagne, Paul George, Samantha Leclerc, Marc Veillette, Caroline Duchaine et Juan Carlos Villarreal.