L'avenir de la vannerie pratiquée par les Premières Nations pourrait-il être affecté par l'agrile du frêne, un insecte ravageur arrivé au Québec en 2008? La chose n'est pas impensable compte tenu du fait que la principale espèce utilisée pour fabriquer les paniers traditionnels dans le Nord-Est américain, le frêne noir, est naturellement peu abondante et qu'elle est l'essence de frêne la plus vulnérable aux assauts de cet insecte. La situation est suffisamment préoccupante pour qu'une équipe formée de chercheurs de l'Université Laval, du W8banaki (Conseil tribal de la Nation W8banaki) et du Bureau environnement et terre d'Odanak se penche sur les façons d'assurer un approvisionnement durable en frêne noir pour la vannerie traditionnelle.
«Le frêne noir est vraiment le meilleur arbre pour faire de la vannerie traditionnelle, explique Laurence Boudreault, étudiante-chercheuse en sciences forestières de l'Université Laval. Les propriétés physico-mécaniques de son bois permettent d'en tirer de longues éclisses qui peuvent être tressées parce qu'elles sont à la fois flexibles et résistantes. Elles plient sans casser», précise la doctorante, qui vient de publier les résultats d'une partie de ses travaux sur la question dans le Canadian Journal of Forest Research.
En 2018, en réponse aux préoccupations causées par l'agrile du frêne, le Conseil tribal de la Nation W8banaki a contacté le professeur Alexis Achim, du Département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval, pour discuter de la possibilité de mener des travaux conjoints sur le frêne noir. «Mon projet est issu de ces discussions. Il marie les connaissances traditionnelles des W8banakiak et les sciences du bois», souligne la doctorante, déjà détentrice d'un baccalauréat en anthropologie.
Moins de 20% des frênes noirs possèdent les qualités requises pour qu'on puisse en tirer des éclisses se prêtant à la fabrication d'objets de vannerie, poursuit-elle. «Chez les W8banakiak, ce sont les hommes qui détiennent les savoirs traditionnels et techniques pour choisir les arbres, battre les billots pour séparer les cernes annuels de croissance et en tirer les éclisses que les femmes utiliseront pour fabriquer des paniers.»
Au cours de l'été 2020, l'équipe de l'Université Laval et d'Odanak a récolté 11 frênes noirs dans la région de Lotbinière et en Estrie. Ces arbres répondaient aux critères définis par trois membres de l'équipe de recherche qui possédaient une expérience en matière de sélection de frênes destinés à la vannerie. Pendant l'étape du battage, ces trois porteurs de connaissances traditionnelles ont attribué une note, allant de faible à élevée, à la qualité des éclisses qu'ils tiraient de chaque arbre.
De son côté, Laurence Boudreault a analysé des échantillons provenant de ces 11 arbres à l'aide d'appareils du Centre de recherche sur les matériaux renouvelables de l'Université Laval. «Nous avons effectué différents tests physico-mécaniques afin de déterminer ce qui caractérisait les arbres qui présentaient une qualité élevée pour la vannerie. Parmi toutes les variables que nous avons mesurées, deux se détachaient nettement. Les meilleurs frênes noirs pour la vannerie ont des cernes de croissance de densité élevée et de largeur étroite ou intermédiaire», résume la doctorante.
«Maintenant que nous possédons ces informations, nous pouvons aller sur le terrain, prélever des carottes dans des frênes noirs, examiner leurs cernes de croissance et identifier les sites qui offrent les conditions de croissance favorisant la production de bois convenant bien à la vannerie traditionnelle. En procédant à des plantations sur ces sites, on pourrait favoriser un approvisionnement durable en frênes noirs, ce qui est essentiel pour assurer la survie de la vannerie traditionnelle chez les W8banakiak.»
Les signataires de l'étude parue dans le Canadian Journal of Forest Research sont Laurence Boudreault, Catherine Chagnon, Maude Flamand-Hubert et Alexis Achim, de l'Université Laval, et Luc Gauthier Nolett, Michel Durand-Nolett et Danny Gill, du Bureau environnement et terre d'Odanak.