7 mai 2025
Sentinelle Nord: la richesse des rencontres improbables
Fidèles à l'esprit de Sentinelle Nord, un spécialiste du caribou et un expert en fibre optique et laser ont uni leurs efforts pour concevoir un instrument qui aidera à comprendre les causes du déclin du caribou migrateur

Pour étudier les causes du déclin du caribou migrateur dans le nord du Québec, le professeur Steeve Côté avait besoin de données météorologiques locales. Le biologiste et son collègue physicien Martin Bernier achèvent la mise au point d'un collier caméra qui enregistre les conditions environnementales à l'échelle de l'animal au fil de ses déplacements. Cet instrument permettra, entre autres, de mesurer l'enfoncement dans la neige, une variable importante de la dépense énergétique en hiver.
— Maël Le Corre
Steeve Côté avait un problème. Le professeur du Département de biologie de l'Université Laval étudie le caribou migrateur, un cervidé dont les deux grands troupeaux du Québec sont en déclin depuis trois décennies. Pour cerner les causes de cette baisse démographique, le professeur Côté avait besoin de données sur les conditions environnementales que les caribous rencontrent au fil des milliers de kilomètres qu'ils parcourent chaque année.
«Comme les stations météorologiques sont rares dans le Nord et qu'à l'échelle de notre aire d'étude, les satellites ne produisent pas des données suffisamment fines pour répondre à nos besoins, j'étais dans une impasse», a raconté le professeur Steeve Côté lors de la Réunion scientifique Sentinelle Nord qui se déroule de 6 au 8 mai au Centre des congrès de Québec.
«En avril 2016, je faisais partie d'un groupe d'une trentaine de scientifiques de différents horizons, que les responsables de Sentinelle Nord avaient réunis à huis clos dans un local du campus. Ils nous ont dit qu'on resterait dans la salle tant qu'on n'aurait pas réussi à développer des idées de projets collaboratifs. J'ai profité de l'occasion pour expliquer ce dont j'avais besoin pour mes travaux. C'est alors que Martin Bernier, un professeur du Département de physique, de génie physique et d'optique, que je ne connaissais pas jusque-là, a proposé qu'on collabore pour trouver une solution.»
Il aura fallu presque une décennie de travail, mais à force d'essais et d'erreurs, l'improbable tandem a mis au point un prototype très prometteur de collier caméra. L'instrument transmet en continu la position de l'animal, il enregistre la température ainsi que des images qui permettent d'établir l'habitat dans lequel le caribou se trouve, la végétation qu'il mange, l'abondance des insectes piqueurs, la couverture nuageuse, la force des vents et l'enfoncement dans la neige, une variable très importante dans le bilan énergétique hivernal.
«Notre idée est d'utiliser le caribou comme station mobile qui enregistre les conditions environnementales à l'échelle de l'animal, au fil de ses déplacements, résume le professeur Bernier. Nous avons testé des prototypes sur des cerfs de Virginie à l'île d'Anticosti, ce qui nous a permis de corriger certains problèmes. Les travaux se poursuivent et, si tout va comme prévu, une quinzaine de colliers seront installés sur des caribous lors de l'hiver 2027.»

Le collier caméra mis au point par les deux chercheurs a été testé sur des cerfs de Virginie à l'île d'Anticosti.
— Francis Perras
L'interdisciplinarité en héritage
Les collaborations de ce type se sont multipliées au cours de la dernière décennie à l'Université Laval grâce à Sentinelle Nord, un projet qui porte l'interdisciplinarité dans son ADN.
Son histoire commence en 2014 alors que Sophie D'Amours, aujourd'hui rectrice, occupait le poste de vice-rectrice à la recherche et à la création. À son invitation, des leaders de la recherche à l'Université Laval, dont Yves De Koninck et Marcel Babin qui allaient devenir codirecteurs scientifiques de Sentinelle Nord, avaient accepté de monter une proposition qui allait être soumise à Apogée, un programme du gouvernement fédéral visant à encourager l'excellence en recherche.
«Au terme de quelques rencontres, le groupe est arrivé à un concept qui mettait à contribution les grandes forces de l'Université Laval – la recherche nordique, l'optique-photonique, la neurophotonique et la santé cardiométabolique. En regroupant ces forces sous la thématique santé et environnement dans le contexte des changements climatiques dans le Nord, nous étions convaincus d'avoir un projet solide», a rappelé Yves De Koninck, en séance d'ouverture de la Réunion scientifique Sentinelle Nord.
La suite allait leur donner raison. En effet, quelques mois plus tard, l'Université Laval décrochait une subvention de recherche de 98 M$, la plus importante de son histoire, pour son projet Sentinelle Nord.
En 10 ans, plus de 215 chercheurs, dont 14 titulaires de chaires créées grâce à Sentinelle Nord, provenant de 45 départements répartis dans 9 facultés ont participé aux activités de Sentinelle Nord.
«Plus de 700 étudiants et stagiaires postdoctoraux ont été formés dans le cadre des activités de Sentinelle Nord, a rappelé Marcel Babin. Environ 40% du budget a été alloué à la formation des étudiants. Nous voulions briser les barrières entre disciplines pour qu'ils apprennent l'interdisciplinarité comme on apprend une langue maternelle.»
La rencontre qui se déroule cette semaine au Centre des congrès de Québec est la dernière Réunion scientifique de Sentinelle Nord. En effet, après 10 ans d'existence, le projet tire à sa fin. Le bilan final reste à faire, mais on peut déjà conclure que Sentinelle Nord a participé à la redécouverte de la richesse des collaborations entre collègues de l'Université Laval et à un changement de culture en faveur de l'interdisciplinarité, estiment les codirecteurs scientifiques.
Eugénie Brouillet, vice-rectrice à la recherche, à la création et à l'innovation, abonde en ce sens. «Même si nous sommes réunis pour célébrer la clôture de la stratégie Sentinelle Nord, cette fin n'en est pas une. C'est un tremplin. Sentinelle Nord a ouvert la voie à un avenir où l'interdisciplinarité doit demeurer au cœur de nos approches et de nos stratégies. C'est avec cette ambition que l'Université renforce maintenant ses ressources humaines et financières et assure des investissements structurants pour propulser encore plus loin la recherche et la formation interdisciplinaires pour les années à venir.»