26 juin 2025
Devrait-on permettre la chasse au dindon sauvage à sa limite nord de répartition?
Les populations situées à la limite nord de la répartition de l'espèce peuvent tolérer de bons niveaux de prélèvement, à condition de tenir compte de l'effet funeste des hivers rigoureux sur leur survie

En 2024, 10 766 dindons ont été récoltés au Québec, dont 94% lors de la chasse printanière. Les mâles représentent 96% de tous les dindons abattus. Tous les mâles présentent une longue «barbe» sur la poitrine. Cet attribut est aussi présent chez 5% à 10% des femelles, mais leur «barbe» est plus courte et plus fine.
— Getty Images/Lois McCleary
Comme plusieurs espèces, le dindon sauvage a étendu son aire de répartition vers le nord à la faveur des changements climatiques. Rarement observé au Québec il y a un demi-siècle, ce gallinacé est maintenant présent dans des localités situées à 500 kilomètres au nord de sa limite historique. Devrait-on pour autant en permettre la chasse sur son front d'expansion? Pas de souci, si on en juge par une étude publiée dans Environmental Management, à condition que le niveau de prélèvement autorisé tienne compte des effets catastrophiques des hivers rigoureux sur la survie du dindon sauvage.
L'équipe de recherche arrive à cette conclusion au terme de simulations réalisées à l'aide d'un modèle de dynamique de population qui intègre des données qu'elle a récoltées sur le terrain dans 3 populations de dindons sauvages du Québec. «La première, celle de Huntingdon, se trouve en Montérégie, près de la frontière américaine, alors que la seconde se trouve un peu plus au nord, dans la région de Dunham. Enfin, la troisième est établie dans la région de Val-des-Sources, autrefois Asbestos», précise l'un des auteurs de l'étude, Jean-Pierre Tremblay, professeur au Département de biologie de l'Université Laval, et chercheur au Centre d'études nordiques et au Centre d'étude de la forêt.
Entre 2010 et 2013, l'équipe de recherche a capturé et marqué 344 dindons dans ces 3 populations. Du nombre, 184 ont été équipés de radioémetteurs ou de GPS permettant de suivre leurs déplacements, de localiser leur nid afin de déterminer leur succès reproducteur et de dénombrer les mortalités pendant plusieurs années. Ces oiseaux ont été suivis pendant 8 à 9 mois en moyenne, mais certains l'ont été pendant plus de 4 ans.
Les projections réalisées pour ces 3 populations – en fonction de différents scénarios de prélèvements et de conditions climatiques – livrent une conclusion inattendue. Même si on imagine que les populations situées sur le front d'expansion sont plus fragiles, elles peuvent tolérer des récoltes plus élevées que les populations bien établies plus au sud.
«La population qui se trouve sur le front d'expansion est formée d'individus plus jeunes qui ont un taux de fécondité élevé, ce qui leur permet de rebondir rapidement après une baisse d'effectifs. Par contre, elle ne peut tolérer aucun prélèvement après un hiver rigoureux», prévient le professeur Tremblay.
En effet, dans une étude antérieure, cette équipe de recherche avait documenté l'effet catastrophique des hivers neigeux sur la survie de cet oiseau. «Les dindons se nourrissent principalement de grains perdus dans les champs agricoles ainsi que de bourgeons de plantes et d'arbustes, rappelle le chercheur. Les périodes où le couvert de neige dépasse 30 centimètres pendant 10 jours consécutifs affectent fortement leur survie. La mortalité peut alors grimper jusqu'à 60%. Contrairement à d'autres animaux, le dindon ne se constitue pas de réserves de graisse et il doit s'alimenter continuellement pour survivre.»
Le Québec compte 2 saisons de chasse au dindon sauvage. La première, qui se déroule au printemps, permet la récolte de 2 mâles. Pour sa part, la chasse automnale autorise le prélèvement d'un mâle ou d'une femelle. En 2024, 10 766 dindons ont été récoltés au Québec, dont 94% lors de la chasse printanière. Les mâles représentent 96% de tous les dindons abattus. «Comme il s'agit d'une espèce polygame, la récolte des mâles a peu d'incidence sur le nombre de jeunes qui sont produits chaque année», précise toutefois le professeur Tremblay.
Quel serait le scénario optimal de gestion de la chasse au dindon sauvage au Québec? «Comme la chasse printanière ne touche que les mâles, elle n'affecte pas la croissance de la population, répond le chercheur. Pour ce qui est de la chasse automnale, une approche prudente consisterait à l'autoriser uniquement dans les populations bien établies. Par contre, si on souhaite adopter une approche plus libérale afin de favoriser la chasse, les décisions concernant le prélèvement automnal pourraient être prises en tenant compte des conditions climatiques des hivers précédents et du fait que la population est bien établie ou pas.»
Les autres signataires de l'étude parue dans Environmental Management sont Maxime Lavoie et Pierre Blanchette, du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Stéphanie Jenouvrier, de la Woods Hole Oceanographic Institution et du Centre national de la recherche scientifique, et de Serge Larivière, du Cree Hunters Economic Security Board.