
Certaines personnes intègrent un gang de rue en croyant y être mieux protégées de la violence. Pourtant, selon les données, un membre de gang de rue court 5 fois plus de risques d'être victime de violence que la population générale.
— Getty images / Paul Bradbury
Lorsqu'on demande aux jeunes délinquants pourquoi ils ont intégré un gang de rue, plusieurs répondent qu'ils étaient à la recherche de protection. Cette réponse a de quoi surprendre quand on sait que, selon plusieurs études, les membres de gangs de rue et ceux qui sont affiliés à ces groupes sont plus à risque d'être victimes d'un acte de violence. Ce paradoxe intriguait Yanick Charette, professeur à l'École de travail social et de criminologie, qui a cherché à mieux comprendre les dynamiques de violence au sein de ces groupes criminalisés.
Dans un article paru dans le Journal of Criminal Justice, il présente les conclusions d'une recherche qu'il a menée dans les archives policières. En épluchant les rapports associés aux gestes violents perpétrés ou dont ont été victimes 1587 membres de gangs de rue haïtiens ou personnes affiliées à ces gangs, sur une période de 20 ans à Montréal, Yanick Charette a pu montrer que les gangs sont formés de différents noyaux de relations et que la violence se concentre dans certains de ces noyaux.
Être victime d'un acte violent, c'est rarement un hasard
Plusieurs facteurs influencent le risque d'être victime d'un tel acte, dont certaines caractéristiques individuelles, comme le genre, l'âge, l'ethnicité ou le niveau d'éducation. Selon une étude américaine, les jeunes hommes noirs courent 12 fois plus de risques que la population générale d'être victimes d'un acte violent. Le principe de chevauchement entre le délinquant et la victime (victim-offender overlap) explique également que les personnes qui ont déjà commis un délit violent ont plus de risques d'être victimes, à leur tour, de violence. Finalement, les crimes violents sont généralement perpétrés par une connaissance, ou encore par une connaissance d'une connaissance.
«Dans la plupart des cas, il existe un lien entre celui qui commet un acte violent et sa victime. C'est vrai pour la violence conjugale et la violence sexuelle, et c'est aussi vrai pour la violence armée. Ce lien peut être positif ou négatif, c'est-à-dire que la connaissance peut être un allié ou un rival. Et le lien peut être direct ou indirect. En d'autres mots, si Paul connaît Georges qui connaît Albert, il y a un lien entre Paul et Albert, même s'ils ne se connaissent pas», explique Yanick Charette.
Noyaux de violence et noyaux de protection
Des recherches ont déjà montré que le risque d'être victime de violence est d'environ 5 fois plus élevé dans un gang de rue que dans la population générale. Toutefois, ces études ne s'étaient pas attardées au risque pour un individu selon la place qu'il occupe à l'intérieur du regroupement. «Ces groupes sont hétérogènes et ils sont composés de plusieurs microcosmes différemment structurés. Notre hypothèse était que le risque n'était pas équitablement répandu dans un gang et qu'il dépendait du réseau de relations qu'un individu entretient avec d'autres membres d'un groupe criminalisé», rapporte le professeur Charette.
Les résultats des travaux menés par ce professeur lui donnent raison. Ils révèlent une forte corrélation entre les microcosmes qui usent de violence et ceux qui la subissent. «Ainsi, il n'y a pas une hiérarchie entre des groupes qui seraient agresseurs et d'autres victimes. Au contraire, les groupes où il y a une forte concentration d'agresseurs présentent aussi une forte concentration de victimes», indique Yanick Charrette. Nouer des relations avec des criminels violents ou des victimes d'actes criminels accroît donc le risque d'être soi-même victime de violence. Ce risque accru se maintient jusqu'à 3 degrés de distance, c'est-à-dire le lien entre soi et la connaissance d'une connaissance d'une connaissance. Passé ce stade, les effets s'atténuent grandement. «On observe que les représailles entre gangs de rue dépassent rarement ces 3 degrés de distance», remarque Yanick Charette.
Autre constat, ce n'est pas seulement la présence d'un lien entre des pairs qui influencent le risque, mais également la manière dont ces liens se tissent. «Dans un gang de rue, tous les membres ne commettent pas des actes de violence. Par exemple, il existe des délinquants qui ne participent pas aux altercations armées, mais qui s'occupent uniquement du trafic de drogues. Ceux-là peuvent voir leur risque d'être victime de violence diminuer selon la densité des liens qu'ils entretiennent avec le réseau», explique le chercheur.
Dans un groupe, les interrelations peuvent être qualifiées d'ouvertes ou de fermées. Il suffit que trois personnes se connaissent mutuellement pour former un nœud fermé, qu'on appelle triade. «Plus il y a de triades dans un microcosme, dit-il, plus le réseau de relations est dense.» Or, faire partie d'un réseau qui comporte plusieurs triades assure une certaine protection sociale.
— Yanick Charette, professeur de criminologie
Un paradoxe qui s'explique
La motivation d'intégrer un gang par mesure de protection n'apparaît donc plus aussi saugrenue et paradoxale qu'elle pouvait le sembler de prime abord. Une protection – ou du moins une situation beaucoup moins hasardeuse que celle qu'on croyait à tort généralisée – semble effectivement émerger des microcosmes non violents à l'intérieur des gangs de rue. C'est probablement cette dynamique relationnelle qui explique le paradoxe et incite certaines personnes à s'affilier à ces groupes.
Mieux comprendre les dynamiques de la violence au sein des gangs de rue permet de mieux cibler les personnes, au sein de ces gangs, qui seraient les plus susceptibles de renoncer aux délits violents, afin de réduire l'escalade de la violence. Ainsi, suivant ces conclusions et celles d'autres études similaires, des interventions de prévention de la violence ont été mises sur pied au Québec.
L'étude signée par Yanick Charette et Ilvy Goossens, du centre de recherche du St. Joseph's Healthcare Hamilton a été publiée dans le Journal of Criminal Justice.
Lire l'étude sur les noyaux de violence dans les gangs de rue