30 avril 2025
Une nouvelle chaire se penchera sur les diverses formes de menaces à la démocratie
Sous la responsabilité du professeur de la Faculté de philosophie, Patrick Turmel, cette chaire étudiera les phénomènes de radicalisation, de désinformation et de bulles sociales
«Nous sommes dans un moment charnière et nous devons décider si on se laisse ou non séduire par la tentation autoritaire», affirme Patrick Turmel.
— Université Laval, Yan Doublet
«On voit, depuis quelques années, apparaître un certain nombre de menaces à la démocratie qui prennent toutes sortes de formes», explique le professeur de la Faculté de philosophie de l'Université Laval Patrick Turmel. «Mais, ajoute-t-il, on ne les a jamais, je dirais, senties avec autant de vigueur que depuis quelques mois, en particulier en Amérique du Nord, avec ce que l'on peut observer chez nos voisins du Sud.»
Le mercredi 30 avril, l'Université Laval a annoncé le lancement de la Chaire de recherche Démocratie et éthique publique. Cette chaire est rattachée à la Faculté de philosophie et le professeur Turmel, spécialiste d'éthique et de philosophie politique, en est le titulaire. Il est également directeur, depuis janvier 2025, d'Éthique publique, une revue internationale d'éthique sociétale et gouvernementale.
L'éthique démocratique menacée
Selon le professeur, trois principaux phénomènes menacent l'éthique démocratique aujourd'hui. Il y a d'abord une radicalisation, sous la forme d'un rejet du dialogue démocratique, aux deux extrêmes du spectre politique. De plus en plus, des citoyennes et citoyens aux idées différentes se perçoivent comme des ennemis à combattre plutôt que comme des adversaires légitimes que l'on doit chercher à convaincre. Vient ensuite le problème de la désinformation. Cette manipulation de l'opinion publique aggrave la crise de confiance des gens à l'égard des médias et des institutions politiques, mais aussi de la recherche scientifique dans les universités. Elle a pour effet de miner la capacité des citoyennes et citoyens à participer de manière éclairée au processus démocratique. Enfin, il y a les bulles sociales qui, amplifiées par les réseaux sociaux, contribuent à créer une vision déformée et biaisée de la réalité sociale et politique.
«On parle depuis plusieurs années de l'existence d'une crise démocratique, souligne Patrick Turmel. Il y a en ce moment, peut-être plus que jamais, un état aigu de cette crise. On assiste notamment à une remise en question constante de légitimité des médias traditionnels. On voit aussi depuis quelques mois une attaque frontale contre le monde de la recherche dans le milieu universitaire. On a beaucoup rappelé dans les dernières semaines, dans la foulée du traitement réservé par l'administration Trump aux grandes universités, cet extrait d'un ancien discours du vice-président américain J.D. Vance où il affirmait que “les professeurs sont l'ennemi”, une phrase empruntée à l'ex-président Nixon. Le gouvernement y va d'attaques directes contre l'indépendance des universités et la liberté universitaire. Cela a commencé avec l'Université Columbia et se poursuit avec plusieurs autres établissements. Dans les prochaines années, les universités américaines vont payer cher leur indépendance et leur liberté.»
L'heure des choix pour les pays démocratiques
Le professeur rappelle que les pays démocratiques traversent une période de bouleversements, de changements, et font donc face à des choix. Selon lui, nous sommes dans un moment charnière et nous devons décider si nous nous laissons ou non séduire par la tentation autoritaire.
«Est-ce qu'on défend les acquis démocratiques? demande-t-il. Ou est-ce qu'on se laisse porter par une certaine vague pour finir par abandonner l'idéal politique sur lequel se fondaient ces acquis? Je pense que c'est une vraie question. Il est important de voir que ce n'est pas juste un choix entre conserver les choses telles qu'elles sont ou se résigner à la sortie de la démocratie, mais le choix de défendre et de renforcer vigoureusement les institutions politiques, ou non.»
— Patrick Turmel
Quand un système judiciaire est testé
Le professeur Turmel a toujours cru que les institutions américaines étaient plus fortes que ce que l'actualité nous permet de constater. Selon lui, on s'est toujours fié, avec une certaine naïveté, à la séparation effective des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire.
«Bien sûr, aux États-Unis, le judiciaire est depuis longtemps fortement politisé, explique-t-il. Malgré ça, on avait quand même cette idée que le système judiciaire était suffisamment indépendant pour résister aux autres pouvoirs, notamment l'exécutif. C'est peut-être le cas, mais en ce moment, le système judiciaire est très sérieusement testé. Non seulement il est testé, mais il n'est pas clair qu'il va réussir à passer à travers ce test.»
Selon lui, les démocraties ont reçu un vrai signal. «Elles doivent se ressaisir si elles valorisent encore le fait de vivre dans une société où on peut agir comme égaux sur la chose publique en participant aux décisions politiques, mais aussi où un ensemble de droits nous protège contre les abus du pouvoir. Sans cette liberté politique, il n'y a pas de démocratie.»
Les chercheuses et chercheurs associés à la chaire Démocratie et éthique publique se pencheront notamment sur les composantes de l'infrastructure institutionnelle complexe dont dépend la démocratie. Celle-ci doit permettre de redonner confiance en certains faits que l'on reconnaît, de protéger l'indépendance du système médiatique et de protéger les domaines du savoir et de la recherche universitaire. «Tout ça est crucial à la démocratie, affirme Patrick Turmel. L'ex-président Obama disait que dès le moment où on n'arrive pas à s'entendre sur un ensemble de faits, le dialogue démocratique n'est plus possible.»
La création de la Chaire de recherche Démocratie et éthique publique à la Faculté de philosophie de l'Université Laval est rendue possible grâce à un don de 1 M$ de Power Corporation du Canada.