10 avril 2025
Mercure et pergélisol: le problème pourrait avoir été surestimé
L'abondance de ce métal dans le pergélisol et la production de son dérivé neurotoxique en raison du réchauffement climatique seraient moins importantes que prévu dans certaines régions nordiques

Cette mare, située près du village de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, a été formée à la suite de l'effondrement d'une butte au centre de laquelle se trouvait un pergélisol riche en glace. Le monticule qu'on voit à gauche sur la photo est ce qui reste de cette butte. Des microorganismes présents dans l'eau de cette mare transforment le mercure libéré par le dégel du pergélisol en méthylmercure, un composé neurotoxique qui pose des risques pour la santé humaine.
— Sarah Gauthier
En 2018, les communautés nordiques avaient été ébranlées par une étude menée en Alaska qui avançait que les sols gelés en permanence – le pergélisol – contenaient plus de mercure que tous les autres sols de la planète, l'océan et l'atmosphère réunis. S'il s'agissait là d'une nouvelle très inquiétante pour ces communautés, c'est que le mercure libéré du pergélisol par le réchauffement climatique se transforme, sous l'action de certains microorganismes, en méthylmercure, un composé neurotoxique qui s'infiltre dans la chaîne alimentaire et pose des risques pour la santé humaine.
L'étude de 2018 pourrait avoir surestimé l'abondance du mercure dans le pergélisol et la production à long terme de méthylmercure, au Nunavik du moins, suggèrent les travaux qu'une équipe dirigée par Pascale Roy-Léveillée, du Département de géographie et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval, vient de publier dans la revue Science of the Total Environment.
L'équipe, rattachée à la Chaire de recherche en partenariat sur le pergélisol au Nunavik, arrive à ce constat après avoir mené des travaux de terrain près du village de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, une région subarctique où le dégel du pergélisol est entamé depuis plusieurs années. Le site d'étude a été choisi en raison de la présence de buttes, au cœur desquelles se trouve un pergélisol riche en glace, et de mares formées par l'effondrement de ces buttes à la suite du dégel du pergélisol.
«Ces mares sont des points chauds pour la formation de méthylmercure parce que les conditions qu'on y trouve sont favorables aux microorganismes qui le produisent à partir du mercure», explique Rose-Marie Cardinal, professionnelle de recherche dans l'équipe de la professeure Roy-Léveillée et première auteure de l'étude.
Les échantillons de sol prélevés sur les buttes intactes et au fond des mares formées à différents moments dans le passé ont permis à l'équipe de recherche de déterminer comment la production nette de méthylmercure évolue dans les décennies qui suivent le dégel du pergélisol. Premier constat, la quantité de mercure entreposée dans le pergélisol est environ 20% de celle estimée dans l'étude menée en Alaska. Second constat, la proportion de mercure méthylé se situe à 0,6% dans le sol des buttes intactes, elle atteint un maximum de près de 7% dans les sédiments des mares récemment formées par le dégel et elle redescend à 2,6% dans les mares revégétalisées par la sphaigne.
«Avec le temps, une part de moins en moins grande du mercure se convertit en méthylmercure, résume la professeure Roy-Léveillée. Ce pourcentage pourrait continuer à descendre, surtout si la production de sphaignes se maintient parce que ces plantes élèvent la surface du sol au-dessus de l'eau et sont peu favorables à l'activité microbienne qui conduit à la méthylation du mercure.»
Une priorité pour les communautés nordiques
Si l'étude de 2018 arrivait à des conclusions aussi alarmantes, c'est parce qu'elle considérait que la quantité de mercure dans le pergélisol pouvait être calculée de la même façon dans toutes les régions circumpolaires, analyse-t-elle. De plus, les études précédentes estimaient la production de méthylmercure sans considérer la résilience des écosystèmes.
«Notre étude montre qu'il faut tenir compte des caractéristiques locales du pergélisol et qu'il faut documenter la production de méthylmercure sur une plus longue échelle de temps, conclut-elle. Même si la réalité semble moins catastrophique que l'étude de 2018 le laissait croire, le dégel du pergélisol est un problème sérieux et une priorité pour les communautés nordiques. Nous poursuivons les recherches avec elles pour les aider à mieux gérer les risques liés à la libération de mercure dans l'environnement.»
Les autres signataires de l'étude parue dans Science of the Total Environment sont Sarah Gauthier, de l'Université Laval, et Brian Branfireun, de l'Université Western.