
Au Canada, environ 1 adulte sur 5 devra composer avec des douleurs musculosquelettiques chroniques au cours de sa vie.
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Une équipe de recherche de l'Université Laval vient d'identifier deux biomarqueurs qui ouvrent de nouvelles perspectives dans la gestion de douleurs musculosquelettiques chroniques (DMC). Ces deux marqueurs – l'acrylamide et le cadmium – sont des composés toxiques présents dans la fumée de cigarette, mais aussi dans la nourriture et dans d'autres produits auxquels nous sommes exposés quotidiennement. Les détails de cette étude ont été publiés récemment dans la revue Pain.
Rappelons que les DMC sont un problème de santé publique important qui touche environ 1 adulte sur 5 au Canada. Dans la plupart des cas, il s'agit de douleurs non spécifiques, ce qui signifie qu'on ne parvient pas à en déterminer la cause avec certitude. Le modèle qui prévaut depuis quelques décennies est qu'elles résultent d'un ensemble de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux.
«Les traitements existants contre des DMC sont peu efficaces ou ils ont des effets secondaires indésirables importants. À défaut de mieux, on propose aux gens d'apprendre à gérer leur douleur», constate le responsable de l'étude, Clermont Dionne, professeur au Département de médecine sociale et préventive et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval et à VITAM-Centre de recherche en santé durable.
L'équipe de recherche a profité du fait que les DMC, pour des raisons encore inconnues, sont très fréquemment associés au tabagisme. «Chez les fumeurs, ces douleurs augmentent en fonction de la consommation de tabac. Notre hypothèse était que les cigarettes contiennent des substances qui peuvent nous aider à comprendre les mécanismes des DMC chez les fumeurs, mais aussi dans toute la population», explique le professeur Dionne.
Pour faire la lumière sur la question, l'équipe a utilisé des données, provenant d'une vaste enquête américaine sur la santé et la nutrition, qui portaient sur 3670 sujets dont 25% étaient des fumeurs réguliers ou occasionnels. Les analyses visaient à comparer le risque de souffrir de DMC chez des non-fumeurs par rapport au risque observé chez des fumeurs occasionnels et des fumeurs réguliers. Comme prévu, les résultats montrent un accroissement du risque de DMC en fonction de la consommation de tabac. Cette hausse est de 17% chez les fumeurs occasionnels de 99% chez les fumeurs réguliers.
Des analyses subséquentes ont permis de lier cette hausse à l'acrylamide et au cadmium. Isolément, ces deux composés augmentent le risque de DMC de 24% et de 56% respectivement. Ensemble, leur effet combiné double le risque par rapport à ce qui est observé chez les non-fumeurs.
«Dans une étude antérieure, nous avions observé une association statistique entre les concentrations sanguines d'acrylamide et de cadmium et les DMC au cou, aux épaules et au bas du dos dans un groupe représentatif de la population générale. La présente étude met en lumière le rôle de ces deux composés dans la hausse du risque de DMC chez les fumeurs, un fait rapporté à de nombreuses reprises. Ces résultats concordants suggèrent que ces composés pourraient constituer des biomarqueurs particulièrement intéressants au regard des DMC pour toute la population», résume le professeur Dionne.
L'acrylamide est un composé qui se forme lors de la cuisson à haute température d'aliments riches en glucides. On en trouve, entre autres, dans les croustilles de pomme de terre, dans les frites, dans les céréales à déjeuner et dans le pain grillé. Quant au cadmium, c'est un élément chimique qui se retrouve dans l'environnement et dans de nombreux produits industriels, notamment les engrais chimiques, les batteries et les alliages de métaux.
«Notre hypothèse est que leur accumulation dans l'organisme pourrait avoir un effet sur le système nerveux et contribuer aux DMC, du moins chez une partie des personnes qui en souffrent», avance le professeur Dionne.
L'existence de biomarqueurs fiables ouvrirait des avenues intéressantes pour la prévention et le traitement des DMC, poursuit-il. «D'abord, l'évaluation de ces douleurs pourrait s'affranchir du caractère essentiellement subjectif qu'elle a présentement. Ensuite, il serait possible de suivre l'évolution de ces douleurs chez un patient et d'évaluer l'efficacité des interventions qui lui sont proposées. Enfin, il serait possible d'appliquer des mesures de prévention pour éviter l'exposition à ces deux produits et peut-être même de développer des traitements pour en réduire les concentrations dans l'organisme. Il faut envisager de nouvelles approches dans la prise en charge des DMC parce que nous sommes dans un cul-de-sac depuis un bon moment.»
Les autres signataires de l'étude parue dans la revue Pain sont Codjo Djignefa Djade, Caroline Diorio, Danielle Laurin, Denis Talbot et Pierre-Hugues Carmichael.