Joint dans une loge de la Seine musicale, à Paris, David Latulippe est à quelques heures d'une énième représentation de la nouvelle mouture de Starmania. Soir après soir, et le dimanche après-midi, il interprète Zéro Janvier et pousse la note du célèbre Blues du businessman: «J'aurais voulu être un artiste». Une expérience unique dont le diplômé de la Faculté de musique n'avait même jamais rêvé.
«J'ai étudié en musique pour approfondir beaucoup de choses et parce que je voulais chanter. Mais je n'avais pas de but précis, je ne rêvais pas vraiment de faire de grosses productions. Ça s'est fait tout seul avec les années et maintenant que je suis là, c'est extraordinaire», lance le jeune homme de 31 ans en visioconférence.
Il explique que les contrats se sont enchaînés, qu'il a été chanceux, tout en travaillant fort. Si plusieurs de ses amis ont fait carrière sans études, en apprenant «sur le tas», il dit se servir encore des techniques vocales et des notions musicales apprises au cégep puis à l'Université Laval.
«Un prof de chant, c'est quasiment un psy!»
«Quand je suis arrivé dans les cours de Rémy Tremblay, mon prof de chant pop et jazz tout au long de mes trois années de baccalauréat, il y a eu un déblocage», raconte David Latulippe. Le chargé de cours l'a incité à expérimenter toutes sortes de choses pendant sa formation, à créer des groupes vocaux, des trios. «J'ai tout fait. J'ai été choriste sur des plateaux, j'ai fait des trios artistiques, des groupes a capella, j'ai vraiment chanté partout.» Ce bagage, ce travail avec d'autres chanteurs et d'autres musiciens, lui est utile aujourd'hui dans Starmania, qui compte beaucoup de chœurs.
Le volet jazz à l'Université lui a aussi permis de pousser davantage ses compétences en improvisation. «En fait, j'ai tout appris avec Rémy», lance David Latulippe, qui a gardé contact avec lui. Il mentionne son écoute et son humanité. «Un prof de chant, c'est quasiment un psy!», lance le jeune homme, en expliquant que son métier puise dans les émotions intérieures.
Ce même Rémy Tremblay lui a permis de décrocher une place dans la comédie musicale Saturday Night Fever, au Capitole en 2017, dans Elvis Experience, en 2012, puis au Téléthon Enfant-Soleil. «Il m'a tellement référé, il m'a fait confiance même quand j'étais encore à l'Université et que je n'étais pas encore prêt dans ma tête à faire tout ça. Lui, il voyait déjà quelque chose en moi.»
Vivre une création
Ce potentiel s'est pleinement déployé depuis l'obtention de son diplôme en 2015. Plus récemment, David Latulippe a vécu la première de Starmania, à Paris, le 8 novembre, après trois mois de répétitions intenses du matin au soir. «C'est vraiment une création où tout le monde a mis son grain de sel. Même si Starmania existait, on dirait qu'on l'a recréé. C'est un show complètement différent, même si on retrouve tous les classiques qu'on veut entendre.»
Son interprétation de Zéro Janvier n'a rien à voir avec celle de Claude Dubois, il y a 40 ans. Il a façonné son propre personnage, lui qui avait entendu les grands succès sans connaître toute l'histoire et l'intrigue écrite par Luc Plamondon et Michel Berger dans les années 1970. «C'est assez fou, c'est pas prémonitoire, mais il y a beaucoup de choses qui sont arrivées ou qui sont encore plus d'actualité. La politique, la vie en communauté, la recherche d'un besoin de vivre, la pollution…» Il ajoute que le spectacle est «assez violent», sans doute pour montrer la noirceur de Starmania.
Une production au propos actuel qu'il voit perdurer. «Moi, je crois qu'on va venir au Québec. On ne peut pas ne pas venir», lâche le jeune chanteur, qui n'a toutefois pas encore de confirmation. En attendant, l'opéra sera présenté à Paris jusqu'au 29 janvier, à raison de sept spectacles par semaine, puis partira en tournée en France, en Belgique et en Suisse jusqu'en juin. «Je suis surpris comment ça va bien vocalement et l'énergie est là!»
David Latulippe, originaire de Beauce, aura une petite semaine de vacances en février pour rentrer chez lui, mais sa famille vient aussi le rejoindre à Paris par moments.
Après 10 ans d'expérience comme chanteur, il dit évoluer encore. Avec Starmania, ila acquis une nouvelle corde à son arc : le jeu. «Je n'avais jamais fait de théâtre», indique celui qui a appris à livrer son personnage avec des expressions.
Être professionnel en tout temps
Quels conseils donnerait-il aux étudiants qui rêvent de fouler les planches d'une grande production? Être à l'heure, avoir une belle énergie, être simple, sympathique et souriant tout le temps, énumère-t-il d'emblée. Décrocher un contrat du genre, ce n'est pas juste de la chance, ajoute celui qui a beaucoup travaillé. Il faut être toujours prêt, préparé, professionnel.
Ce savoir-être, en plus du savoir-faire, est une porte ouverte sur l'avenir, croit David Latulippe. Peu importe les gens que l'on rencontre, ce sont eux qui vont nous recroiser, nous référer, nous engager, a-t-il constaté. «Rémy me disait: “Quand tu arrives à l'Université dans un cours de chant ou un cours de jazz vocal, t'es sur une job”. Et c'est vrai! J'ai vu comment il m'a référé. C'est comme ça que j'ai fait mes contacts, que je les ai gardés, justement à cause de mon éthique de travail.»