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Pour mieux comprendre la COVID-19, il faut prendre en considération le rôle du hasard et des événements superdisséminateurs dans la dynamique de propagation de cette maladie. C'est ce qu'avance, dans une prépublication de l'Institute for Disease Modeling, une équipe de chercheurs américains, australiens et canadiens, dont font partie le professeur Antoine Allard et le professeur associé Laurent Hébert-Dufresne, du Département de physique, de génie physique et d'optique de l'Université Laval.
Physicien de formation, Antoine Allard est un spécialiste de la science des systèmes et les réseaux complexes. Il est d'ailleurs titulaire de la Chaire de recherche Sentinelle Nord en modélisation mathématique des systèmes et des réseaux complexes. Ces disciplines peuvent livrer des informations très utiles pour mieux comprendre la dynamique de la COVID-19 et pour en modéliser l'évolution, assure le chercheur.
«Notre apport se situe en amont des modèles épidémiologiques utilisés en santé publique. Nous ne tentons pas de chiffrer les effets de différentes mesures sur l'évolution de la pandémie. Nous cherchons plutôt à décoder la structure des contacts dans des réseaux de personnes.»
Et que nous apprend cette science au sujet de la présente pandémie? Que le nombre de reproduction de base, R0, qui représente le nombre de personnes contaminées par chaque porteur de la maladie, décrit mal la dynamique de transmission de la COVID-19 et le risque que courent les populations.
«En moyenne, la valeur du R0 s'établit à près de 3 pour cette maladie, rappelle le professeur Allard. Cela porte à croire que chaque malade contaminera environ 3 personnes. La dynamique de transmission de la COVID-19 est toutefois beaucoup plus complexe. Dans la majorité des cas, un malade contaminera 0 ou 1 personne alors que dans un petit nombre de cas, le malade sera responsable de nombreuses infections secondaires. Il y a une forte hétérogénéité dans la dynamique de transmission de la maladie et ce sont les événements de superdissémination qui alimentent la pandémie.»
Le cas du Patient 31
Un cas extrême d'événements superdisséminateurs concerne une Coréenne, désignée sous le nom de Patient 31, qui s'était rendue dans plusieurs lieux publics de Daegu – dont deux célébrations religieuses auxquelles ont assisté plus de 1000 personnes – avant de recevoir un diagnostic de COVID-19 à la mi-février. Jusque-là, la Corée du Sud était parvenue à limiter à 30 le nombre de cas de COVID-19, malgré sa proximité avec d'importants foyers de contagion. «Par la suite, plus de 5000 cas de COVID-19 ont été liés à cette patiente», rappelle le professeur Allard.
— Antoine Allard
Les événements de superdissémination peuvent être de nature biologique – certaines personnes ont une charge virale plus élevée –, comportementale/sociale ou environnementale. Les flambées de COVID-19 sur les bateaux de croisière, dans les usines de transformation de viande et dans les résidences pour personnes âgées illustrent bien les risques associés à certains milieux.
Une dimension aléatoire semble tout de même présente, surtout lorsque la prévalence du virus est faible, constate le professeur Allard. En effet, la maladie n'a pas systématiquement envahi ces milieux. Au Québec, par exemple, plus de 85% des résidences pour personnes âgées n'ont signalé aucun cas de COVID-19. Parmi les 47 navires de croisière qui ont rapporté au moins un décès dû à la COVID-19, seulement 7% ont connu une flambée de cas par la suite.
«Nos travaux suggèrent que pour limiter la propagation de la maladie, il faut concentrer les efforts vers l'élimination des événements superdisséminateurs. Ces événements sont rares, mais c'est eux qui déterminent la trajectoire de la maladie», conclut le professeur Allard.