Ce livre de 250 pages a été finalisé par l’auteur lors d’un long séjour comme boursier Fulbright à Berkeley et à Stanford. Deux chapitres sont consacrés à l’épisode controversé de la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1759. Selon Jocelyn Létourneau, l’idée que ces derniers soient les cofondateurs de la société québécoise chemine dans les esprits. Il en veut pour preuve, notamment, que quatre Franco-Québécois sur cinq s’accordent avec l’énoncé selon lequel les Anglais sont un des peuples fondateurs du Québec. «C’est élevé, soutient-il. Le résultat surprend. Il pourrait signifier que les Québécois ne souscrivent plus à la vision consacrée de leur société et de leur histoire. Une vision qui les présente toujours dans une relation d’opposition avec l’Autre, surtout l’“Anglais”. Une vision qui fait d’eux des perdants, des victimes et qui décrit leur parcours comme une série de rendez-vous ratés avec l’Histoire.»
Un passé à respecter, un avenir à préparer
Depuis une dizaine d’années, deux visions s’affrontent au Québec relativement aux défis amenés par le monde contemporain. Parmi ces défis, il y a l’américanisation culturelle du monde et l’ouverture à une immigration importante pour compenser une démographie trop faible. Dans ce contexte, les traditionalistes mettent en garde contre la dénaturation de l’identité collective et prônent la consolidation de la culture québécoise dans ce qu’elle a de fondamental. Les réformistes, eux, parient sur le fait que les transformations en cours seront salutaires à l’épanouissement de la société québécoise. Selon Jocelyn Létourneau, la position juste se situe vraisemblablement à l’intersection des deux points de vue.
Tout au long de son histoire et encore aujourd’hui, la société québécoise a été largement accommodante, pacifique et ouverte. «Le Québec, poursuit Jocelyn Létourneau, n’a cessé d’être une société dont les habitants ont refusé de s’isoler, attirés qu’ils étaient par l’Autre, se métissant physiquement et culturellement sans disparaître dans la relation d’altérité.» Autre caractéristique: contrairement à ce que l’on pourrait croire, la plupart des Québécois sont sensibles à leur histoire. «Mais, souligne le professeur, ils n’envisagent pas l’avenir à travers le prisme de leur passé. Et ils ont pris de la distance par rapport au testament supposé de leurs ancêtres. Passer à l’avenir, tel est leur projet.»
Le Québec évolue ces années-ci vers des territoires identitaires non encore déterminés. Un des aspects de la métamorphose en cours est le rapport qu’entretiennent les 24 à 35 ans avec la langue anglaise. «Ils n’associent pas cette langue au spectre de l’assimilation, explique Jocelyn Létourneau. Pour eux, l’anglais n’est qu’un moyen d’épanouissement personnel, un atout pour réussir leur vie dans un monde globalisé.»
Et le projet d’indépendance? «Ce projet ne disparaîtra pas, mais il demeure minoritaire, répond l’historien. Plus que jamais, l’aspiration populaire se conjugue à l’idée d’interdépendance.» Sur le plan politique, les Québécois ont toujours été réformistes et pragmatiques. «C’est pourquoi un programme comme celui qui a été esquissé dans le Manifeste des lucides, paru en 2005, attire plus qu’il n’y paraît, indique Jocelyn Létourneau. Ce programme répond à la culture politique modérément conservatrice et sobrement progressiste des Québécois.» Selon lui, il est temps que les Québécois se rallient à un projet emballant pour construire leur devenir. «Relancer le chantier de l’éducation, clé de toute émancipation véritable sur le plan individuel et collectif, me paraît prioritaire», affirme-t-il.