Lorsqu’on dit qu’une image vaut mille mots, on entend par là qu’il n’y a nul besoin d’y ajouter de commentaire, tant l’image parle d’elle-même. C’est particulièrement vrai dans le cas des photographies saisissantes que présente Gloire Munoko dans l’exposition Multiface. La puissance d’évocation des photos de ce finissant au baccalauréat en arts visuels est telle qu’on en ressort non seulement secoué, mais qu’on a aussi envie d’en savoir davantage sur les situations horribles ayant cours dans son pays natal, la République démocratique du Congo, et plus spécialement au Nord-Kivu, une province de l’est du pays. Depuis 20 ans, des combats incessants y ont lieu pour le contrôle des richesses minières et du pouvoir. La population est prise en otage: des familles entières sont brisées, des femmes sont sauvagement violées. Des enfants de 5 ans sont forcés de travailler dans les mines, pour y extraire du coltan – mot-valise pour colombite-tantalite –, un minerai de couleur brun-rouge servant à la fabrication de nos cellulaires et de nos ordinateurs portables.
«J’ai un grand ami qui vient du Nord-Kivu. C’est lui qui m’a raconté les horreurs qui s’y déroulent. C’est important pour moi de montrer ce qui se passe là-bas. Je veux contribuer à changer les mentalités», dit Gloire Munoko, qui se définit résolument comme un artiste engagé.
Dans une partie de la salle d’exposition, une série de photos sélectionnées par l’artiste sur Internet sont projetées en rafale. Enfants défigurés, femmes violées, cadavres en décomposition: autant de scènes insoutenables qui, même si elles passent à la vitesse de l’éclair devant nos yeux, marquent la mémoire.
Plus loin, des photos correspondant symboliquement à des étapes sanglantes de l’histoire du Congo happent notre regard. Le jeune Congolais met soigneusement en scène ses modèles. Il les photographie dans des poses dramatiques, comme cet homme noir aux mains et aux avant-bras rougis, rappel tragique des premières années de colonialisme belge entre 1880 et 1910, où des hommes, des femmes et des enfants tenus en esclavage étaient forcés de récolter du caoutchouc rouge, un matériau très prisé à l’époque. Dans cette volonté de dénonciation, Gloire Munoko propose également un triptyque en rapport avec l’histoire de l’hôpital de Panzi, spécialisé dans le traitement des femmes abusées sexuellement. Pour ces photos, Gloire Munoko a imaginé une couverture d’un magazine de mode, le Vanity of Vanities, en référence au très chic magazine culturel Vanity Fair. À la différence que les femmes qui y figurent ne sont pas des personnalités glamour ni des icônes de la mode, mais des femmes bafouées dans leur dignité. Une autre «mise en scène» signée Gloire Munoko.
«Tout le monde est attiré par les photos de mode. En créant ce concept, j’ai voulu attirer le regard des gens et montrer les réalités vécues par beaucoup de femmes dans mon pays que sont les viols collectifs, les mutilations sexuelles et la prostitution infantile. Aujourd’hui, mon pays est l’un des plus dangereux au monde pour une femme», affirme l’étudiant. Pour mettre un baume sur la plaie, en quelque sorte, et rendre hommage à la femme africaine, Gloire Munoko présente quelques photos d’une jeune femme dans toute la splendeur de ses 20 ans. Qu’elle y apparaisse pensive ou qu’elle nous regarde droit dans les yeux, sa beauté apaisante fait du bien à l’âme. «Ce sont les femmes qui éveillent ma conscience artistique», confie Gloire Munoko.
Parcours d’un combattant
Né à Kinshaha, Gloire Munoko est arrivé à Québec en 2016. La photographie, le dessin et l’écriture font partie intégrante de son mode de vie. Au-delà de sa pratique artistique engagée, il souhaite rencontrer chez nous des personnes qui pourront l’aider à améliorer les conditions politiques qui règnent en République démocratique du Congo. Quand il ne crée pas, Gloire Munoko est enseignant de boxe dans un club sportif de Sainte-Foy, où il transmet sa passion pour ce sport en attendant de monter une autre exposition, centrée cette fois sur le dessin.
Lors du vernissage, qui aura lieu le 7 décembre à 17h, Gloire Munoko lira un poème de son cru intitulé Speak Black, inspiré de la célèbre ode à la résistance Speak White de la poétesse québécoise Michèle Lalonde, une femme pour laquelle il a beaucoup d’admiration.
L’exposition Multiface a lieu jusqu’au 21 décembre à la salle d’exposition du pavillon Alphonse-Desjardins, au local 2470. Les heures d’ouverture sont de 9h à 16h30, du lundi au vendredi, et de 12h à 16h le samedi.