Dans la longue marche vers l’égalité entre les hommes et les femmes, qu’en est-il de la place de ces dernières dans le domaine du sport, en particulier dans le milieu du coaching?
«La situation s’est certes améliorée au fil du temps, on voit davantage de femmes occuper les postes d’entraîneuse-chef, mais elles demeurent des cas d’exception, explique Guylaine Demers, professeure au Département d’éducation physique. Les dernières statistiques pour le Québec, tous niveaux confondus, donnent 19% d’entraîneuses-chefs, du niveau récréatif jusqu’à la haute performance. Plus dramatique, ce pourcentage était entre 23% et 24% il y a 10 ans.» Selon elle, les femmes quittent assez rapidement la profession. «Elles restent en moyenne 3,5 ans en poste, dit-elle, contre 11 ans en moyenne pour les hommes.»
Le mercredi 7 avril, la professeure Demers a participé à un panel sur la place du personnel féminin dans les organisations sportives. L’activité était organisée par le PEPS de l’Université Laval dans le cadre des festivités entourant ses 50 ans d’existence. Le panel était animé par le journaliste sportif Marc Durand. Les deux autres invitées étaient Linda Marquis et Ariane Loignon. L’une est coordonnatrice aux opérations des activités d’excellence au Service des activités sportives du PEPS. Elle fut entraîneuse-chef pendant 30 ans de l’équipe de basketball féminin du Rouge et Or. L’autre est une ex-athlète olympique en patinage de vitesse longue piste et ex-entraîneuse dans cette discipline. Elle est aujourd’hui conseillère en sport pour la Ville de Lévis et membre du conseil d’administration de l’Institut national du sport du Québec. Quant à Guylaine Demers, elle est codirectrice du nouveau centre de recherche canadien sur l’équité des genres en sport. En 2020, elle recevait le prestigieux prix Femme et sport - Amériques du Comité international olympique.
Une pionnière
Linda Marquis a certes été une pionnière du coaching de haut niveau au Québec comme au Canada.
«Je n’ai pas ressenti de résistance pour mon engagement, rappelle-t-elle. J’ai eu l’audace d’aller voir le coordonnateur des sports à qui j’ai offert mes services pour le poste vacant d’entraîneur-chef de l’équipe de basketball féminin. J’ai été embauchée. J’ai eu cette chance-là. Je suis tombée sur quelqu’un qui avait cette ouverture. Je suis allée le voir de mon propre chef, j’ai foncé. J’avais la passion du coaching qui m’a poussée vers lui. J’ai eu une chance inouïe qui a été le début d’une belle aventure qui a duré trente ans.»
Selon elle, il existe encore la perception qu’une femme est douce et gentille, qu’elle manque d’agressivité, de rigueur, de sévérité. «J’ai eu à me battre pendant trente ans contre cette image, poursuit-elle. On trouve tous les styles de coaching, autant chez les femmes que chez les hommes. C’est une question de personnalité. On dit qu’au niveau supérieur, un entraîneur-chef devrait crier après ses joueurs durant le déroulement d’un match. Ce n’est pas toujours le cas. Mon plus grand souhait était de n’avoir rien à dire durant un match. Je souhaitais que les jeunes femmes soient assez autonomes, qu’elles soient capables d’agir, de prendre de bonnes décisions à partir de ce qu’on avait fait à l’entraînement. Allez-y! Et si je n’ai rien à dire pendant quarante minutes, tant mieux!»
À sa première année à la tête du Rouge et Or, Linda Marquis fut contestée par ses joueuses. L’une d’elles était Guylaine Demers. Réunies sans leur entraîneuse-chef, les joueuses lui ont reproché de manquer d’autorité, de ne pas leur crier après, de ne pas les brasser suffisamment. En un mot, de ne pas être «un bon coach». «Avec la cocapitaine, je lui ai fait part de la liste de récriminations, de tout ce qu’on voulait qui change, raconte la professeure. Linda est restée calme durant la rencontre. Par après, elle n’a rien changé dans son approche. Et à un moment donné, on a commencé à trouver pas mal le fun que Linda s’intéresse à d’autres priorités que le basket, comme nos études et notre famille.»
Exigeante comme athlète, entraîneuse et administratrice
Comme athlète, Ariane Loignon a été membre de l’équipe nationale de patinage de vitesse longue piste de 1983 à 1990. Durant cette période, elle a pris part à de nombreux championnats du monde. Après sa carrière sportive, elle s’est impliquée comme entraîneuse au sein de clubs régionaux jusqu’à atteindre le sommet avec le programme national. «Dans le domaine sportif, affirme-t-elle, une femme peut être très exigeante dans son parcours comme athlète, comme entraîneuse-chef et comme administratrice dans des postes de leadership, notamment au sein de conseils d’administration.»
Ariane Loignon croit qu’il peut être avantageux pour une organisation sportive de compter des femmes parmi ses entraîneurs-chefs. Elle rappelle que le quintuple médaillé olympique américain de 1980 Éric Hayden était entraîné par une femme.
«Il y a une vingtaine d’années, raconte-t-elle, quelqu’un faisait un processus d’embauche. Après avoir sélectionné les candidatures intéressantes à ses yeux, il me demande si j’ai des curriculum vitae à ajouter pour les entrevues. J’ai passé les dossiers en revue et j’ai changé l’un d’eux de pile. Au bout du compte, la personne a obtenu le poste. Ces années-ci, elle occupe des fonctions assez importantes en sport au Québec. J’avais vu son potentiel d’une autre façon.»
Selon elle, un comité de sélection aura le réflexe bien souvent de penser d’abord à des candidatures masculines pour pourvoir un poste. «Or, dit-elle, on trouve des candidatures importantes et intéressantes tant chez les femmes que chez les hommes. Les femmes veulent prendre part à la vie démocratique avec la même implication, les mêmes responsabilités et la même rigueur que les hommes se donnent.»
Ariane Loignon souligne que la discrimination positive en faveur des femmes est une réalité à l’Institut national du sport du Québec. «Notre objectif, explique-t-elle, est d’avoir un minimum de 40% de femmes au conseil d’administration. Au Ministère, la Direction du sport et de l’activité physique a mis en place un nouveau mode de gouvernance qui va accompagner les fédérations provinciales. Nous sommes dans une mouvance. Là-dessus, les femmes ont fait des gains.»
Une culture à changer
Selon Guylaine Demers, les femmes réagissent différemment que les hommes devant un affichage de poste d’entraîneur-chef. «Ce n’est pas propre au sport, précise-t-elle. Les femmes vont s’assurer de répondre à 100% des critères avant de poser leur candidature. Chez les hommes, ils vont y aller s’ils répondent entre 60% et 70%. Ils se disent: “Ce que je ne sais pas, je vais l’apprendre en le faisant”. Les femmes ne font pas ça. Les organisations sportives doivent en être conscientes et aller au-devant des femmes.»
Au Canada comme au Québec, les entraîneurs-chefs ne sont pas choyés. À l’exception de certains sports plus payants, comme le patinage artistique, les emplois à temps plein n’offrent pas de conditions intéressantes. «Il faut vraiment être passionné pour faire ce métier», soutient-elle. Le milieu universitaire, en revanche, offre des emplois à temps plein et des conditions de travail normales. «Si on veut que les femmes restent en poste longtemps, poursuit-elle, il faut penser à la conciliation travail-famille. À l’Université d’Alberta, on prépare les congés de maternité. Si l’entraîneuse-chef tombe enceinte, tout de suite l’adjointe ou l’adjoint est désigné pour la remplacer.»
La présence de femmes aux comités de sélection favoriserait l’engagement d’entraîneuses-chefs. «Les membres de ces comités n’ont pas toujours la formation adéquate pour évaluer la teneur d’un dossier, indique Guylaine Demers. On n’accrochera pas sur les mêmes choses en fonction de notre expérience. On a tous et toutes des biais inconscients qui font que l’on est davantage attiré vers des gens plutôt que d’autres. Une façon de contrer ces biais est d’avoir la mixité aux comités de sélection pour s’assurer que l’on a différentes visions.»
Selon elle, la documentation scientifique fait une distinction claire entre les femmes et les hommes entraîneurs-chefs. «Ils sont complémentaires, affirme-t-elle. L’un n’est pas meilleur que l’autre. Les femmes amènent quelque chose de différent au coaching. Pour moi, dans le meilleur des mondes, les athlètes seraient codirigés par des duos homme-femme. Comme femme, je risque de plus connecter avec l’expérience des filles, par exemple sur la question des règles. Comme ancienne athlète, jamais un coach masculin ne m’a parlé de mes menstruations. Or, oui, ça affecte la performance; oui, ça dérange. Des choses comme ça vont faire qu’on va, comme athlète, s’identifier à notre entraîneuse-chef. Je suis donc pour la discrimination positive à l’endroit des femmes entraîneuses. Sans le vouloir, le système exclut les femmes. La seule façon de briser cette façon de faire est d’imposer des quotas. Il faut accompagner les organisations sportives là-dedans.»
Visionner l’enregistrement YouTube du panel Du sport et des femmes