
La façade de l’Hôtel du Parlement de Québec. Dans les cabinets ministériels, les employés font le pont entre le monde politique et la fonction publique. Dans cet environnement complexe, le travail d’équipe est de mise. Des rivalités apparaissent sur certains dossiers ou avec d’autres cabinets ministériels.
— Getty Images/V. Margineanu
Lorsque les professeurs Steve Jacob et Éric Montigny, tous deux du Département de science politique, abordent dans leur enseignement le fonctionnement de l’appareil gouvernemental québécois, ils vont plus loin que la théorie. En effet, ils enrichissent leurs explications d’informations de premier plan tirées d’une expérience quotidienne concrète vécue dans le passé, par l’un et par l’autre, dans des cabinets ministériels, au cœur du pouvoir politique québécois. Le professeur Jacob a travaillé comme conseiller politique dans un cabinet ministériel de premier plan entre 2015 et 2016. Son collègue a, pour sa part, consacré une douzaine d’années de sa vie comme chef de cabinet adjoint ou conseiller politique, et ce, au bureau du premier ministre, au cabinet du chef de l’opposition officielle et au bureau du chef du deuxième groupe d’opposition.
«J’ai par la suite fait le choix de l’enseignement et de la recherche, explique le professeur Montigny. Il y a de l’adrénaline à enseigner, tout comme il y en a dans un cabinet ministériel. Je mets à profit ce que j’ai appris dans le monde politique. Cela vient nourrir mon enseignement. Mon collègue Steve Jacob a vécu la même chose. Nos connaissances apportent un aspect pratique à la théorie.»
Il y a quelques mois, les deux universitaires ont publié dans la revue Canadian Public Administration/Administration publique du Canada un article relatant leur expérience particulière dans les cercles de pouvoir à l’Assemblée nationale du Québec. L’article peut également être consulté sur Wiley Online Library.
«Si nous avons fait cet article, souligne Éric Montigny, c’est parce qu’il existe très peu de littérature sur le fonctionnement des cabinets politiques québécois, alors qu’il s’agit d’un rouage essentiel de la structure du pouvoir. Nous l’avons fait aussi pour nos étudiants finissants attirés par l’action politique. Travailler dans un cabinet est extrêmement enrichissant sur le plan personnel. Un cabinet est une école formidable pour ceux qui souhaitent vivre une expérience intense et de premier plan.»
Des employés jeunes et généralistes
À Québec, un chef de cabinet, un attaché de presse, un responsable de l’agenda, quelques conseillers et attachés politiques, ainsi que des employés de soutien composent le personnel d’un cabinet ministériel. Les employés sont habituellement jeunes et généralistes. À l’exception du chef de cabinet, les employés proviennent de l’appareil politique, soit qu’ils y ont milité, soit qu’ils ont fait l’objet d’une recommandation. Les chefs de cabinet, eux, sont sélectionnés au plus haut niveau.
Dans les cabinets ministériels, les employés ont pour responsabilité première de soutenir le ministre dans ses activités. Cet appui consiste notamment à gérer les crises, un cabinet se trouvant régulièrement en première ligne pour réagir à l’actualité.
Selon le professeur Montigny, être membre du personnel politique d’un ministre ou du premier ministre donne le sentiment d’être au cœur de l’action. «On est la plupart du temps en réaction aux événements, précise-t-il, car nous sommes appelés à réagir à la crise du jour. Mais cela laisse peu de temps pour proposer, voir plus loin et travailler à l’implantation de changements.»
Les membres d’un cabinet politique travaillent généralement dans l’ombre. Au cœur du processus décisionnel, ils traitent de dossiers confidentiels. Ils discutent aussi de stratégies et de dossiers controversés.
«On a le sentiment de contribuer à une chose plus grand que soi», ajoute-t-il.
Ces travailleurs font le pont entre le monde politique et le monde administratif. Un cabinet est un environnement complexe qui fonctionne selon des codes particuliers et une culture qui lui est propre. Le travail d’équipe est de mise, mais les rivalités apparaissent sur certains dossiers ou avec d’autres cabinets ministériels. Malgré un esprit de corps bien réel, les membres du personnel d’un cabinet sont en compétition pour obtenir l’oreille du ministre. Dans un cabinet, plusieurs idées se côtoient et s’affrontent.
«Il faut savoir convaincre pour faire avancer ses projets, explique Éric Montigny. Et savoir se rallier lorsqu’une décision est prise.»
N’entre pas qui veut dans un cabinet ministériel. Quatre qualités personnelles sont requises: la loyauté, la discrétion, le jugement politique et la polyvalence. Le professeur souligne l’importance du premier élément. «La loyauté est fondamentale, affirme-t-il. L’employé doit notamment livrer le fond de sa pensée et donner l’heure juste au ministre. Mais ce n’est pas toujours simple. Il doit pouvoir dire que telle idée ne fonctionne pas, l’expliquer de façon respectueuse et discrète.»
Selon lui, le jugement politique, on l’a ou on ne l’a pas. «Cela ne s’apprend pas, soutient-il. On peut développer de l’expérience politique, mais lire une situation urgente, avec quelques conseillers réunis à l’improviste, l’analyser rapidement pour la transformer en opportunité, cela n’est pas donné à tout le monde.»
Des facteurs structurels qui limitent le pouvoir
L’étude énumère quatre facteurs structurels qui limitent le pouvoir du personnel de cabinet. Deux reposent sur le pouvoir d’inertie de la fonction publique. D’une part, les fonctionnaires ont l’expertise technique que ne possèdent pas les employés généralistes des cabinets. D’autre part, ils traitent certains dossiers au détriment d’autres à cause de la quantité élevée d’informations à analyser. Deux autres facteurs structurels touchent à la dynamique politique. Les rivalités internes en sont un. Le positionnement du cabinet du premier ministre au centre du système politique québécois en est un autre. Celui-ci aura toujours dernier mot dans ses rapports avec les autres cabinets puisqu’il coordonne l’action de l’ensemble.
Et que deviennent les membres du personnel des cabinets après leur passage en politique? Certains comme Steve Jacob et Éric Montigny se dirigent vers l’enseignement. D’autres comme Jean-Marc Fournier et Geoffrey Kelley sont devenus des élus. «Certains ont intégré la fonction publique, indique Éric Montigny. D’autres se retrouvent dans le secteur privé, entre autres dans les agences de relations publiques. Gilbert Lavoie est devenu rédacteur en chef du journal Le Soleil. Quant à John Parisella, il est devenu consultant et chroniqueur politique.»