«Ce fut un moment particulier dans l'histoire des États-Unis, rappelle le professeur Jonathan Paquin, du Département de science politique. La crise a pratiquement conduit les États-Unis et l'Union soviétique à entrer en conflit nucléaire direct. Les acteurs sont venus à un cheveu de déclencher un troisième conflit mondial. Je trouvais que c'était la crise idéale pour permettre à des étudiants de revenir sur des éléments conceptuels sur lesquels ils avaient lu et débattu durant la session.»
Le professeur Paquin est à l'origine de cette activité de simulation. Depuis quelques années, il l'organise avec la collaboration du consulat en plus d'y prendre part. Cette année, il incarnait Kenneth O'Donnell, le chef de cabinet du président Kennedy. Le rôle de ce dernier était interprété par nul autre que le consul général adjoint Michael Agner.
«Le personnel du consulat est ouvert à ce genre de collaboration, souligne le professeur. C'était une première pour le diplomate Michael Agner. Je lui ai expliqué qu'on ne s'attendait pas à ce qu'il soit un expert de la crise, mais plutôt qu'il réagisse comme un généraliste qui considère plusieurs enjeux. Il devait voir l'Union soviétique comme un État rival et le président cubain Fidel Castro comme un être complexe et menaçant. Je lui ai recommandé de ne pas hésiter à poser des questions, même triviales. Ses experts, les étudiants, seraient là pour l'aider.»
Selon Jonathan Paquin, le consul général adjoint a fait un très bon travail. «Il a donné le ton, dit-il, dès le début de la simulation en nous dévoilant ses sentiments et son analyse de la situation. Il était en colère. Il se sentait trahi. Il n'avait aucune confiance en Khrouchtchev, le président soviétique.»
Le professeur a trouvé l'expérience fascinante. «J'ai eu beaucoup de plaisir, ajoute-t-il. Je n'ai pas eu à intervenir souvent. Les étudiants échangeaient directement avec Kennedy. J'ai imposé un certain rythme dans les échanges. J'intervenais pour rompre certaines dynamiques. Je m'assurais qu'il n'y ait pas de dérapage et que tous puissent parler.»
Différents conseillers ont entouré le président américain durant la crise. Ils représentaient notamment le Département de la défense, le Département d'État et la CIA. Il y avait aussi l'ambassadeur américain à l'ONU et le conseiller à la sécurité nationale. Parmi les principaux conseillers figuraient le secrétaire à la Défense, Robert McNamara, et le procureur général, Robert Kennedy.
«Trois étudiants ont incarné Robert Kennedy à tour de rôle, indique Jonathan Paquin. Les deux Kennedy étaient de la même fratrie. Cela a amené entre eux une dimension humaine plus profonde qu'un rapport professionnel.»
Les étudiants ont vécu en temps réel ce que peuvent être les difficultés de la prise de décision en politique étrangère. «Ils ont discuté de la menace, réfléchi à une réponse possible à formuler, souligne-t-il. Ils ont vécu des facteurs psychologiques, des logiques politiques, des considérations mondiales, comme si tout à coup cela leur sautait au visage et qu'il devaient réagir.»
L'un d'eux était Maxime Leblond. L'étudiant terminait alors son baccalauréat en science politique. En alternance avec ses coéquipiers, il a incarné Robert McNamara.
«McNamara, explique-t-il, a été un personnage important de la Guerre froide. Il a surtout fait parler de lui par la suite durant la guerre du Vietnam avec son ton guerrier. Durant la crise de Cuba, il était plus pacifiste. C'est lui qui a proposé un blocus maritime jusqu'au retrait des missiles.»
La simulation a débuté avec la reconstitution de la première heure de la crise. Le représentant de la CIA a présenté au président des photos de missiles prises par un avion-espion ayant survolé l'île de Cuba. Kennedy voulait entendre toutes les personnes présentes.
«Les militaires voulaient une frappe aérienne et l'invasion de l'île, rappelle Maxime Leblond. Le problème est qu'on ne savait pas où étaient les missiles. La CIA pensait par ailleurs qu'il y avait 10 000 soldats soviétiques sur l'île. En réalité, ils étaient 25 000. McNamara, lui, prônait la prudence. Il croyait en l'utilité d'un blocus naval. Un blocus empêcherait l'arrivée de nouveaux missiles et donnerait du temps pour trouver une solution diplomatique.»
Par moments, le ton a monté. «Chacun tenait à sa position, poursuit-il. Nous étions tous très préparés. Nous avions lu sur le sujet et nous avions consulté de vrais documents déclassifiés. Chacun voulait que son option soit retenue par le président. Celui-ci écartait certaines options.»
Un coup de théâtre est survenu au milieu de la simulation: une nouvelle annonçait qu'un avion-espion américain venait d'être abattu au-dessus de Cuba. «Cette nouvelle a lancé un nouveau cycle de discussion, dit-il. Certains acteurs ont changé d'avis et voulaient une action plus coercitive. Mes coéquipiers et moi avons maintenu notre approche plus pacifique. McNamara, en apprenant la nouvelle, voulait une action plus militaire, mais il s'est ravisé par la suite en évoquant la possibilité que l'avion se soit écrasé à la suite d'un problème mécanique.»
Par manque de temps, la simulation s'est limitée à la phase un de la crise. Dans la phase deux, Kennedy décide la mise en place du blocus. À la suite d'un ballet diplomatique intense, l'Union soviétique a accepté de retirer ses missiles. De leur côté, les États-Unis acceptèrent de retirer certains de leurs missiles nucléaires de Turquie et d'Italie.
Incarnant le président Kennedy, le consul général adjoint Michael Agner, sixième à partir de la droite, écoute attentivement la présentation d'un étudiant lors de la simulation de la crise des missiles de Cuba.