14 octobre 2025
Les ossements de chevaux et d'un âne racontent Jamestown au 17e siècle
Une étude multidisciplinaire lève le voile sur la présence d’équidés à Jamestown et sur les conditions de survie dans les premières années de ce village à l’origine du peuplement européen en territoire américain

À gauche: éléments du squelette de chevaux consommés durant la famine de 1609-1610 et découverts à Jamestown. À droite: os de cheval modifiés de cette époque. Le radius droit porte des marques de hachage, de fractures par impact et d’ablation de l'os trabéculaire.
Jamestown. La première colonie permanente d’Angleterre dans les Amériques a vu le jour en 1607, sur la côte est de la Virginie d’aujourd’hui, sur le territoire des Powhatan, un peuple autochtone. Dès les débuts, les colons ont eu à faire face aux maladies, à des conditions de vie difficiles et à des tensions avec les autochtones. À l’hiver de 1609-1610, alors que les Powhatan assiégeaient le fort protégé par une palissade, une famine allait décimer les quatre cinquièmes des quelque 300 colons réfugiés à cet endroit. Après avoir mangé tous les animaux disponibles, ceux-ci se sont rabattus sur les chevaux amenés d’Angleterre.
Or, voici que cette famine et ses conséquences tragiques permettent aujourd’hui à la science de mieux connaître l’époque en question. Des fouilles archéologiques récentes menées à deux endroits du site historique de Jamestown ont permis la mise au jour de 77 spécimens morphologiquement confirmés comme appartenant au genre Equus. Soixante-trois de ces os provenaient de huit chevaux, en plus des restes d’un âne. L'analyse des restes identifiables effectuée par une équipe internationale de spécialistes lève le voile, d’une part, sur le rôle des chevaux et de l’âne dans les activités de transport lors des premières années d’occupation de Jamestown et, d’autre part, sur la transformation et la consommation intensives de ces animaux pendant la famine. Ces résultats viennent de paraître dans Science Advances, la revue de l'American Association for the Advancement of Science.
«Le projet, lancé par un chercheur de l’Université du Colorado avec la collaboration de la Jamestown Rediscovery Foundation, a attiré 26 spécialistes», explique Nicolas Delsol, jusqu’à tout récemment chercheur postdoctoral au Département des sciences historiques de l’Université Laval. «J’étais présent dès le début avec William Timothy Treal Taylor, poursuit-il. Je fais de l’archéologie biomoléculaire et de l’archéologie historique. Je suis aussi archéozoologue. Ma collaboration à ce projet s’inscrit dans ma recherche postdoctorale plus large qui porte sur l’introduction des animaux domestiques eurasiatiques en Amérique du Nord.»
Des restes d’animaux étudiés avec des technologies de pointe
Les équipes de fouille ont exploré deux lieux du site historique de Jamestown. D’une part un puits, d’autre part la cave de la cuisine. Les deux endroits ont été remplis au printemps 1610 avec les restes des animaux mangés par les colons durant l’hiver.
Les restes d’animaux retirés du puits et identifiés sont notamment du poisson, du crabe, de la tortue, des oiseaux sauvages, de petits mammifères sauvages, du cheval et du chien, ainsi que les os d’un âne. Les chercheurs ont ensuite mené sur les ossements d'équidés des analyses interdisciplinaires archéologiques, ostéologiques et biomoléculaires (datation au radiocarbone, isotopes et ADN). Ces analyses ont notamment montré que la quasi-totalité de ces animaux ont été mangés, dépecés, cuits ou bouillis. De plus, la plupart des éléments ont été ouverts pour extraire les plus infimes ressources nutritionnelles, y compris la moelle et la pulpe dentaire.
Pour chaque spécimen, les chercheurs ont évalué les informations relatives à son cycle biologique, à sa santé et à sa pathologie, notamment les signes de fractures et de maladies, les dommages dentaires liés au transport et les modifications de la structure interne des membres. Ils ont également recherché des signes d'altération, de rongement par les carnivores, ainsi que des marques de coupe et de hachage, de fractures spiralées et de brûlures.
Une reproduction réussie des chevaux
L'étude ostéologique et biomoléculaire des ossements démontre la reproduction réussie des chevaux au sein de la colonie et leur utilisation dans les activités de transport. Des fractures de l'émail d'une deuxième prémolaire inférieure suggèrent un bridage.
Les analyses identifient également un âne domestique adulte d'ascendance mixte, en l’occurrence européenne et ouest-africaine. Selon les chercheurs, trois scénarios pourraient expliquer l’obtention de cet animal par les Anglais lors d'un échange non documenté au moment d'une escale transatlantique. L’échange pourrait avoir eu lieu sur la côte ibérique, aux îles Canaries ou sur une île des Caraïbes.

Itinéraire du premier voyage colonial depuis Londres, en Angleterre, vers ce qui était la Virginie de l’époque. Partis en 1606, trois bateaux ont d’abord longé les côtes de l’Europe avant de rejoindre les îles Canaries, au large de l’Afrique de l’Ouest. Ils ont ensuite franchi l’océan Atlantique jusqu’aux Caraïbes. De là, ils ont fait escale dans une demi-douzaine d’îles avant de mettre le cap direction nord jusqu’à l’endroit qui allait devenir Jamestown.
— Bill Nelson
«L’âne fut l’une des grosses découvertes, souligne Nicolas Delsol. Cet animal a eu une histoire un peu singulière. Il peut avoir grandi sur l’île de Trinidad occupée par les Espagnols, dans les Caraïbes. Notre interprétation serait qu’il aurait été acquis par des navigateurs anglais de passage dans la région des Caraïbes avant de finir sa vie à Jamestown. D’après l’analyse morphologique et la génétique, on sait que c’était un mâle adulte.»
Selon le chercheur, la présence d’un âne au début de l’implantation de Jamestown montrerait la réalité déjà complexe des réseaux transatlantiques commerciaux du bétail au 17e siècle. «La toute première expédition anglaise en 1607 illustre ce caractère international, souligne-t-il. Elle montre la fragilité de ces premiers établissements qui étaient très dépendants de la métropole, pays d’origine des colons. La présence de chevaux, de vaches et autres gros animaux domestiques démontre la complexité de ces expéditions.»

























