
Aude Seppey, étudiante au baccalauréat en science politique, est aussi comédienne et dramaturge. Cette diplômée du Conservatoire d'art dramatique de Québec est l'auteure de la pièce Portes closes, qui sera présentée au théâtre Premier Acte, du 25 février au 8 mars.
— Yan Doublet
Est-ce que l'espace politique accepte les femmes telles qu'elles sont? Quelles embûches les politiciennes québécoises rencontrent-elles dans leur carrière? Et comment changer les choses? Voilà les questions qui traversent la pièce Portes closes, présentée au théâtre Premier Acte, du 25 février au 8 mars.
Écrite par Aude Seppey, étudiante au baccalauréat en science politique et diplômée du Conservatoire d'art dramatique de Québec, cette autofiction documentaire s'inspire du parcours d'étudiante et de militante de l'auteure.
Le projet a germé en 2021, à l'occasion d'un devoir au Conservatoire. La jeune femme devait mener une entrevue et créer à partir de cet entretien. Aude Seppey tenait alors une excuse pour contacter des politiciennes et leur poser une question qui la taraudait depuis quelque temps.
Portes closes: l'histoire d'une jeune militante
En 2018, Aude Seppey a 18 ans et peut voter pour la première fois. La jeune idéaliste donne son suffrage à un parti de gauche qui réussit une percée en faisant élire 10 députées et députés, dont une artiste qui n'a pas froid aux yeux, comme elle. Dans la pièce, cette ex-députée bien connue porte le faux nom de Sophie Côté.
«Sophie a l'air invincible. Elle se fait constamment basher dans les médias depuis son arrivée en politique. […] À 19 ans, je déménage à Québec pour continuer mes études au Conservatoire d'art dramatique, en plein dans le comté de Sophie. […] Pis un jour, je l'aperçois dans la rue. Je décèle quelque chose de sombre dans son regard», révèle Aude Seppey dans un extrait de Portes closes.
«Serait-ce de la peur?», se demande-t-elle alors.
— Aude Seppey, dramaturge et étudiante en science politique
«À partir de là, ajoute-t-elle, il y a eu cette question qui m'a rongée, mais que je n'ai jamais posée directement: est-ce que tu as peur? À partir de là, j'ai aussi voulu poser des questions sur le fait d'être une femme en politique aux autres députées de l'Assemblée nationale.»
Portes closes, c'est donc le récit d'une jeune femme qui décide de s'impliquer dans un parti, avec tout ce que la voie politique comporte d'obstacles pour une femme. Surtout, c'est le résultat de cette enquête menée auprès des politiciennes québécoises. Peu importe leur parti, elles ont mentionné les mêmes difficultés et les mêmes obstacles. «Ce n'est pas mon ennemie, c'est une sœur», constate dans la pièce le personnage d'Aude Seppey après avoir discuté avec une députée d'un autre parti.
Qu'en disent les spécialistes?
Pour discuter des enjeux mis en lumière dans la pièce d'Aude Seppey, le Département de science politique, en collaboration avec l'association Féministes en mouvement de l'Université Laval, a tenu le 6 février, au pavillon Charles-De Koninck, la soirée théâtre-discussion «Le parcours des combattantes». Animé par le professeur Thierry Giasson, l'événement réunissait l'auteure elle-même, qui a fait une lecture publique d'un extrait de la pièce, le professeur Marc Bodet et la chargée de cours Catherine Lemarier-Saulnier, tous deux du Département de science politique, ainsi que la journaliste parlementaire Jocelyne Richer, auteure du livre Le sexe du pouvoir.
Cette dernière, qui a occupé le poste de correspondante parlementaire à l'Assemblée nationale pendant une vingtaine d'années, a été aux premières loges pour assister au faux-semblant d'égalité hommes-femmes en politique québécoise. «J'ai écrit le livre parce que je constatais un grand décalage entre le discours officiel et la réalité», s'insurge celle qui remarque que rien n'a changé au cours des dernières décennies. Les femmes se butent toujours aux mêmes difficultés.
«La responsabilité familiale est nommée obstacle le plus important par la majorité des femmes. La ministre Sonia Lebel, qui fait beaucoup de recrutement pour son parti, m'a confié que les hommes et les femmes ne réagissent pas de la même façon lorsqu'on tente de les recruter. Les hommes sont flattés et pensent déjà au ministère qu'ils pourraient diriger, alors que les femmes hésitent et pensent d'abord à leurs responsabilités familiales», déclare Jocelyne Richer.
«Le deuxième obstacle d'importance, ajoute-t-elle, est le fonctionnement de l'Assemblée nationale, une institution faite par des hommes pour des hommes.» Cette embûche bien réelle est ainsi expliquée par Catherine Lemarier-Saulnier. «Les études, dit-elle, montrent que, inconsciemment, on apprend des rôles genrés. Les femmes doivent être douces et empathiques.» Pourtant, «l'arène politique» est encore aujourd'hui présentée dans les médias comme un lieu de combat qui appelle des qualités viriles. La confrontation et la domination y sont valorisées, alors que la majorité des femmes sont moins à l'aise dans cette dynamique, ce qui va nécessairement les reléguer dans un rôle secondaire. Et celles qui décident de suivre les règles masculines ne s'en tirent pas non plus. «Les femmes qui transgressent leur rôle et passent du côté de la masculinité vont être sévèrement critiquées pour leur personnalité trop autoritaire qui ne correspond pas aux stéréotypes de genre», soutient la chargée de cours.
Pourtant, les femmes ont prouvé qu'on pouvait faire de la politique autrement. Les travaux transpartisans et consensuels menés par la députée Véronique Hivon pour le projet de loi visant à mourir dans la dignité en sont une preuve éloquente. «Cet exemple unique demeure atypique. Même si le modèle a bien fonctionné, il ne s'est pas implanté», indique Catherine Lemarier-Saulnier.

Le 6 février, Aude Seppey (à gauche) a fait une lecture publique d'un extrait de sa pièce à l'occasion de la soirée théâtre-discussion «Le parcours des combattantes». Elle était assistée dans cette lecture par la comédienne Nadia Girard Eddahia (à droite).
— Yan Doublet
Un troisième obstacle est que la parité dans la députation n’est pas synonyme de parité dans le pouvoir. «L’Assemblée nationale n’est qu’un des paliers du pouvoir. Il y a aussi plusieurs petits clubs sélects de conseillers qui gravitent autour d’un premier ministre et dont les femmes sont généralement exclues. Quand j’ai interviewé Nathalie Normandeau, qui a été vice-première ministre, ça m'a marquée qu’elle me dise qu’elle n’a jamais été dans la garde rapprochée du premier ministre Charest», révèle Jocelyne Richer. Plusieurs décisions stratégiques sont ainsi encore prises en boys’ club, devant une partie de hockey ou autour d’un verre de scotch en fin de soirée, à un moment où les femmes sont à la maison avec leur famille.
En ce qui concerne la peur que les politiciennes pourraient ressentir, il n'y a qu'à entendre la série d'épithètes disgracieuses et d'insultes que la députée Christiane Labrie a rendues publiques à l'Assemblée nationale le 27 novembre 2019 pour comprendre la violence dont sont victimes les femmes politiques.
Finalement, le professeur Marc Bodet rappelle aque les femmes «réussissent» moins bien en politique parce qu’elles sont plus solidaires et enclines à se sacrifier pour le bien du parti. «Les études montrent que davantage de femmes acceptent des circonscriptions où les chances de l’emporter sont minces», rapporte-t-il. De plus, même si des femmes réussissent à traverser le plafond de verre et à atteindre un poste de pouvoir, elles doivent ensuite souvent faire face à la falaise de verre, un concept qui désigne les situations de pouvoir intenables et précaires. En d’autres mots, lorsqu’on prévoit qu’un dossier épineux risque de «brûler» la carrière de la personne qui le défend, la candidature d’une politicienne est la bienvenue.
Ce constat est bien entendu cynique. «Heureusement, observe Marc Bodet, les travaux comparés en Europe, en Amérique du Nord et en d’Asie montrent que lorsque des gains sont réalisés dans l’égalité hommes-femmes, il n’y a pas de renversement de la tendance. On peut donc espérer qu’il y aura un moment critique où la proportion de femmes sera suffisante pour modifier la culture.»
Vous aimeriez en savoir plus sur le sujet? La représentation de la pièce Portes closes du vendredi 28 février sera suivie d’une discussion avec les artistes et deux doctorantes en sociologie de l’Université Laval, Bénédicte Taillefait et Rose Moisan-Paquet.