D'un terrible drame peut naître énormément de beauté. Voilà ce qu'on se dit en visitant la Galerie des arts visuels de l'École d'art de l'Université Laval, où est présentée l'installation Nos amarres jusqu'au 2 mars. Ce projet, qui s'insère dans la programmation du Mois Multi, est celui de Josiane Roberge.
En 2020, faut-il le rappeler, le monde se mettait en pause avec l'arrivée de la pandémie. Josiane Roberge choisit de retourner chez ses parents, à Saint-Henri-de-Lévis, pour vivre cette crise en «bulle familiale». C'est à cette époque que la nouvelle est tombée comme un couperet: sa mère était atteinte d'un cancer.
Son chagrin, Josiane Roberge l'a vécu en arpentant, chaque jour, le champ de maïs qui borde sa maison d'enfance. «Un certain moment, je suis devenue obsédée par l'image d'une barque qui flotte à la cime des épis. À la fin de l'été, avec l'aide de la famille, j'ai décidé de tester cette intuition et de construire une structure qui allait me permettre de faire des images et des vidéos.»
Avec la chorégraphe Josiane Bernier, elle a filmé des mouvements de danse dans une barque installée dans le champ. Bien vite, cet objet qui tangue dans ce lieu inusité est devenu une métaphore pour représenter l'inconfort et la fragilité du corps, celui de sa mère. «Avec la maladie, c'est un nouveau rapport au corps qui se crée. On perd des capacités, on est plus fatigué. Le fait d'accompagner ma mère dans cette épreuve m'a fait réfléchir par rapport à ça», explique Josiane Roberge.
Trois jours durant, l'artiste a capté des images de la danseuse et d'autres proches qui ont une présence forte à l'écran. Elle décrit un processus créatif où le plaisir et la collaboration de tous les membres de son clan étaient sollicités: «Ma sœur s'occupait des repas pour l'équipe, mon père pilotait la nacelle qui m'a permis de faire des images en hauteur, mon beau-frère m'a aidé à construire la structure pour retenir la barque dans le champ. Ce fut une belle expérience familiale.»
C'est cette vidéo aux images léchées que l'on peut voir en entrant dans la Galerie des arts visuels. Au centre de la pièce trône la barque, celle-là même qui a été utilisée pour filmer les séquences. S'ajoutent deux photographies, dont une réalisée à l'aide d'une technique, le mordançage, qui consiste à oxyder chimiquement un tirage argentique et donc créer des effets visuels un peu fantomatiques.
Sur un mur opposé est projetée une autre vidéo. Il s'agit d'un documentaire réalisé en 2018 dans le cadre d'un projet collectif avec l'organisme Spira. «Le but de ce projet, raconte-t-elle, était d'explorer le thème de l'urgence. À l'époque, je venais d'avoir 38 ans et je commençais à réaliser que je ne suis pas éternelle, et mes parents non plus. Cette pensée m'a frappé de plein fouet. C'est ce qui m'a amené à filmer mes parents pendant un an, durant chaque saison.»
Ce court métrage, où l'on voit ses parents interagir au quotidien, revêt une symbolique particulière. C'est que son père est décédé l'année dernière. Sa mère, quant à elle, se porte beaucoup mieux aujourd'hui. «Cette exposition, je le réalise maintenant, est une manière de vivre mon deuil et de rendre hommage à mes parents. Le projet Nos amarres fait référence à ces liens qui nous attachent, qui nous retiennent, qui nous gardent à bon port. Mes parents ont toujours été mon port d'attache. Je veux garder vivants ces liens que l'on a créés à travers ces moments difficiles.»
— Josiane Roberge
Le fait que l'installation soit présentée à l'École d'art, où elle a obtenu son baccalauréat en arts visuels et médiatiques en 2013, est aussi lourd de sens. «Même si ça fait près de 15 ans que je roule ma bosse comme artiste visuelle, j'ai fait peu d'expositions solos. J'ai été émue de voir à quel point Lisanne [Nadeau, la directrice de la Galerie des arts visuels] me faisait confiance et avait le goût de présenter mon travail», dit celle qui a exposé autant en France qu'un peu partout au Québec.
L'artiste profitera de sa présence à l'Université Laval pour présenter une conférence sur son parcours. Le 6 février, à 16h30, les étudiants en arts et le grand public pourront non seulement découvrir ses œuvres, mais aussi l'envers du décor. «J'ai toujours aimé connaître les rouages d'une création. Quand j'étais jeune, je regardais des making-of de films et j'étais épatée. En plus de présenter mes œuvres, je compte expliquer quelles étaient mes intentions derrière, le tout dans une formule très simple.»
Une collaboration de longue date avec le Mois Multi
Josiane Roberge n'en est pas à sa première participation au Mois Multi, ce festival incontournable en arts multidisciplinaires et électroniques.
L'an dernier, elle présentait la superbe installation Au-dessus de nos têtes, fruit d'une résidence menée en Finlande et d'un atelier au Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul.
Depuis 2013, elle travaille aussi pour l'événement en tant que vidéaste.
Le vernissage du projet Nos amarres aura lieu le jeudi 23 janvier à 17h. La Galerie des arts visuels est située dans l'édifice La Fabrique, au 295, boulevard Charest-Est.