Cette étude, à laquelle ont collaboré Pierre Ayotte, de la Faculté de médecine, et Gina Muckle, de l’École de psychologie, tous deux rattachés au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval, a été réalisée grâce au concours de plus de 500 femmes vivant dans six grandes villes canadiennes. Près du tiers d’entre elles résidaient dans des villes qui ajoutent du fluorure à leur eau potable. Pour ces personnes, la consommation d’eau fluorée représente les trois quarts de l’ingestion quotidienne de ce composé.
Grâce aux renseignements fournis par les participantes, les chercheurs ont estimé la consommation quotidienne de fluorure dans l’eau et dans les boissons bues par les mères. Ils ont aussi mesuré la concentration de fluorure dans l’urine des mères à plusieurs reprises pendant chaque trimestre de grossesse. «Comme le fluorure traverse la barrière placentaire, cette variable permet d’estimer le niveau d’exposition in utero au fluorure», précise Pierre Ayotte.
Les chercheurs ont découvert une association entre le niveau d’exposition au fluorure et le QI des garçons mesuré à l’âge de trois ou de quatre ans. Chaque hausse de 1 mg/litre de fluorure est associée à une baisse de 4,5 points du QI. Par contre, aucune association n’a été décelée chez les filles. «Des différences de ce type dans le développement des garçons et des filles ne sont pas inhabituelles, souligne Gina Muckle. Elles sont notamment observées pour d’autres contaminants comme le plomb et certains pesticides. Règle générale, les garçons sont davantage affectés par les conditions prénatales préjudiciables au développement.»
Les différences de QI rapportées dans cette étude peuvent sembler faibles, mais il faut considérer la question sur le plan de la santé publique et non sur le plan individuel, insistent les deux chercheurs. «Une diminution moyenne de 5 points de QI, qui correspond à l’ampleur de l’effet observé pour de nombreux contaminants, équivaut à une augmentation de 75% du nombre d’enfants ayant un QI inférieur à 70, soit sous le seuil de la déficience intellectuelle, souligne la professeure Muckle. Aux États-Unis, cela signifie que le nombre d’enfants sous ce seuil grimperait de 6 millions à 9,4 millions. À l’autre extrémité de la courbe, le nombre d’enfants particulièrement talentueux chuterait de 6 millions à 2,4 millions.»
En Amérique du Nord, plus de 70% de la population desservie par un réseau d’eau potable consomme de l’eau fluorée contre à peine 3% en Europe. Au Canada et au Québec, cette proportion est respectivement de 33% et de 1,2%.
Cette étude ne vient pas trancher le débat quant à la pertinence de la fluoration de l’eau potable, reconnaît le professeur Ayotte. «La fluoration de l’eau est encore considérée par certains organismes comme l’une des mesures les plus utiles en santé publique pour combattre la carie dentaire. Toutefois, le nombre croissant d’études qui rapportent les effets indésirables de l’exposition au fluorure devrait nous inciter à réévaluer cette intervention. Entretemps, par mesure de précaution, nous recommandons aux femmes enceintes qui vivent dans des municipalités où l’eau est fluorée de ne pas consommer l’eau du robinet.»