Des exemples? Pour vendre ses forfaits de téléphone, l'entreprise française Orange a eu l'idée de distribuer des dépliants froissés dans la rue. Les passants ont été tellement surpris de recevoir un document dans cet état qu'ils défroissaient le papier pour lire son contenu. Pour promouvoir la sortie de son parfum, la compagnie Hayari Couture a loué un char allégorique lors d'un défilé et a traversé la ville de Paris en distribuant des bracelets parfumés. La marque Vans, de son côté, a fait cuire des gaufres en forme de semelles pour souligner l'anniversaire de son produit phare, la chaussure à semelles gaufrées.
Que ce soit dans la rue, dans les parcs ou lors d'événements publics, le guérilla marketing peut se pratiquer à n'importe quelle échelle. «Au départ, Jay Conrad Levinson voulait que les petites entreprises exploitent le guérilla marketing pour se démarquer de leurs concurrents ayant de gros budgets publicitaires. Assez rapidement, les corporations et les multinationales se sont mises à utiliser ce genre de stratégies. Cela est dû au fait que le marketing traditionnel a perdu de son efficacité, les consommateurs étant de plus en plus blasés par rapport aux publicités qu'ils voient à la télévision, à la radio ou sur les affiches», explique Gale Ellen West, professeure associée au Département d'économie agroalimentaire et sciences de la consommation.
La chercheuse s'intéresse à l'ampleur que prend le guérilla marketing à l'ère du numérique et des réseaux sociaux. Fin novembre, elle a présenté une conférence sur le sujet dans le cadre des Rencontres numériques de l'Institut technologies de l'information et sociétés. L'experte en sciences de la consommation a profité de l'occasion pour porter un regard critique sur ce phénomène et amener le public à réfléchir sur l'aspect éthique de certaines pratiques.
Avec les nouvelles technologies, Gale Ellen West constate que de plus en plus d'entreprises font fi de la publicité traditionnelle pour se tourner vers des stratégies de marketing alternatives. «Grâce à des algorithmes, les compagnies ont la capacité d'aller sur les réseaux sociaux, que ce soit Facebook, Instagram, Snapchat ou Pinterest, et de cibler des personnes ayant un gros cercle d'abonnés et publiant régulièrement du contenu lié à leurs activités commerciales. Par la suite, elles peuvent solliciter ces gens et les rémunérer afin qu'ils stimulent un intérêt à l'égard de leurs produits ou de leurs services», dit-elle.
D'autres entreprises – et c'est là le problème – financent des firmes spécialisées dans les robots informatiques (ou bots) afin de «mitrailler» les réseaux sociaux de millions de messages générés à partir de faux comptes. Cette stratégie, nommée «astroturfing», donne l'impression aux internautes qu'il existe un véritable engouement autour des produits et des services qu'elles vendent. Plus inquiétant encore: cette tactique est souvent utilisée par des groupes d'intérêt pour diffuser de la propagande et des fausses nouvelles.
Aux États-Unis, en 2016, au moins 3,8 millions de messages ont été envoyés sur Twitter par des bots afin d'augmenter la popularité du président Donald Trump. Plusieurs autres cas ont été recensés. Entre autres, une compagnie pétrolière a créé un faux groupe environnemental qui a envoyé une multitude de messages remettant en question le réchauffement climatique. Une firme, financée par un fabricant de téléphones cellulaires, a aussi disséminé sur le Web des messages critiquant les produits de ses compétiteurs.
Selon Gale Ellen West, il est extrêmement ardu de déjouer de tels stratagèmes. «Heureusement, il existe des outils, comme Snopes.com et FactCheck.org, qui permettent de vérifier la véracité des informations diffusées sur les réseaux sociaux. Il faut être extrêmement prudent chaque fois que l'on publie du contenu. Avant de cliquer sur “partager”, il faut se poser des questions sur la provenance de l'information», insiste la chercheuse.