
Cyrille Barrette: «Je ne vois rien de positif pour la paix et l'harmonie sociale dans le fait de crier publiquement sa foi à qui n'a rien demandé».
— Marc Robitaille
Pourtant, font valoir les deux instigateurs de l'ouvrage, le recensement canadien de 2001 indique qu'au Québec, les «sans religion» (415 000 personnes) sont plus nombreux que les protestants (336 000) ou les membres de toute autre religion, sauf les catholiques romains. C'est pour affirmer l'existence de cette force tranquille, pour en finir avec «l'insoutenable préjugé» voulant que les athées sont «de bien tristes personnages à qui il doit sans aucun doute manquer quelque chose», pour montrer qu'ils vivent une vie pleine, riche et heureuse, qu'ils ont même une morale et que «les idées qu'ils défendent sont de celles qui nous aident à mieux vivre et surtout à vivre debout, en faisant lucidement face au monde pour donner un sens à notre vie, en restant à l'abri d'illusions qui sont peut-être réconfortantes, mais qui n'en demeurent pas moins infantilisantes et dangereuses» que paraît Heureux sans Dieu.
Cyrille Barrette, professeur retraité du Département de biologie, compte au nombre des 14 personnes issues du monde des sciences, de la littérature, de la philosophie, des arts et du journalisme qui ont accepté de livrer leur témoignage. D'entrée de jeu, le professeur constate qu'il n'est ni heureux, ni malheureux d'être incroyant et qu'il n'a rien de particulier à dire sur son incroyance «sauf pour témoigner que je crois être un bon citoyen, un bon père de famille et un homme heureux, sans foi ni religion». Ce qui ne signifie pas sans opinion. À preuve, sa position sur les signes religieux ostentatoires portés en public qui relèvent pour lui d'un exhibitionnisme gênant. «Je ne vois rien de positif pour la paix et l'harmonie sociale dans le fait de crier publiquement sa foi à qui n'a rien demandé.»
«Comme poussent les cheveux»
Éduqué dans la foi catholique, Cyrille Barrette a été pratiquant pendant une vingtaine d'années. «Enfant, je n'ai pas choisi de croire. Adulte, je n'ai ni choisi ni décidé de ne plus croire. L'entrée et la sortie se sont faites imperceptiblement, comme poussent les cheveux.» Ses premières crises de foi surviennent lorsqu'il a une dizaine d'années en raison de deux enseignements du petit catéchisme qu'il digère mal: le péché originel, commis par Adam et Ève qui ont mangé le fruit défendu de l'arbre de la connaissance, et l'appel à l'acceptation aveugle et docile des mystères. Ces enseignements heurtaient déjà son désir de comprendre et de savoir. «Pour appartenir à une religion donnée, tu dois proclamer croire sans savoir, sans pouvoir savoir, sans vouloir savoir. Pour tester la foi, on a inventé des objets de croyance plus incroyables, plus irrationnels, plus absurdes les uns que les autres, à commencer par l'idée de dieu.»
Pendant ses études universitaires, il tente plutôt mal que bien de concilier la foi catholique à ses convictions scientifiques, mais la conclusion de sa réflexion est déjà écrite: «On ne pourra jamais savoir quoi que ce soit au sujet de Dieu parce qu'il est inaccessible à la raison. Ce qu'on appelle Dieu ne pourra jamais être connu.» L'idée de Dieu existe dans toutes les cultures depuis très longtemps, reconnaît-il. «C'est une idée maîtresse chez l'humain, un caractère distinctif de l'espèce… mais Dieu lui-même est une illusion que l'on prend pour la réalité», écrit-il.
À ceux qui craignent que le vide et le chaos soient la seule option qui attend ceux qui renoncent à l'idée d'un dieu, Cyrille Barrette répond qu'en abandonnant la foi, «on gagne le désir de voir, de savoir et de comprendre “ici-bas”, comme disent les croyants. On gagne le goût de la vérité, de la liberté de pensée, de l'acceptation et du courage de ne pas savoir, le goût de la lumière et le désir d'être avec ses semblables, tous engagés dans la même aventure de la vie humaine… Je ne crois ni à Dieu, ni à une vie après la mort, mais je suis néanmoins moral et heureux. Il me semble que j'ai d'autant plus de raisons de célébrer, de vénérer et de chérir la vie, ma vie, ta vie, que je crois qu'il n'y a rien d'autre.»