Cette percée fait suite à la découverte, en 2017, d'une nouvelle espèce de Mortierella dans les sédiments de la baie de Frobisher. Les chercheurs de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard qui ont décrit ce champignon microscopique ont constaté qu'il produisait quatre molécules qu'ils ont nommées mortiamides. «Elles n'avaient pas d'activité biologique connue, mais nous avons constaté que leur structure présentait des similarités avec celle de composés ayant une activité antimalaria», explique Normand Voyer, du Département de chimie.
Les mortiamides sont présentes en très petites quantités dans les champignons. «Pour en étudier l'efficacité contre Plasmodium, il en fallait davantage et il fallait être certains de leur pureté, poursuit le chercheur. La seule façon d'y arriver était de réaliser la synthèse de ces molécules. C'est ce que nous avons réussi à faire grâce à une approche inédite développée dans notre laboratoire. Nos analyses spectroscopiques ont révélé une conformité parfaite entre les molécules que nous avons produites et les molécules naturelles.»
Les chercheurs ont ainsi pu évaluer l'activité de ces mortiamides contre Plasmodium falciparum, le parasite responsable d'environ 50% de tous les cas de malaria. «Notre prémisse était que le parasite ne pouvait être résistant à ces molécules du Nord parce qu'il n'y avait jamais été exposé», souligne le professeur Voyer. Les tests réalisés à l'aide d'une souche courante du parasite et à l'aide d'une souche résistante à trois médicaments leur ont donné raison. En moins de 72 heures, trois des quatre mortiamides ont stoppé la croissance des deux souches du parasite.
«Pour le moment, l'efficacité antimalaria de ces molécules est modérée, mais nos résultats suggèrent qu'il est possible de créer des analogues qui, à doses plus faibles, seraient plus efficaces contre le parasite, résume le professeur Voyer. De plus, comme on peut maintenant synthétiser ces molécules, il sera plus facile d'élucider leur mode d'action. Lorsqu'on saura pourquoi elles sont toxiques pour le parasite, on pourra développer des médicaments mieux ciblés.»
Cette étude, issue d'une collaboration démarrée grâce au projet Sentinelle Nord, est signée par Christopher Bérubé, Alexandre Borgia et Normand Voyer, du Département de chimie, et Dominic Gagnon et Dave Richard, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval.