
L'arrondissement historique de Québec, qui comprend notamment les bâtiments des 17e et 18e siècles de Place-Royale, est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis le 3 décembre 1985.
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Le 3 décembre 1985, l'arrondissement historique de Québec était officiellement inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. Quatre décennies plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette inscription? Laurier Turgeon, professeur au Département des sciences historiques et directeur de l'Institut du patrimoine culturel, revient sur cet événement qui a influencé le devenir de la Vieille Capitale et en analyse les retombées.
Comment le Vieux-Québec s'est-il retrouvé inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO?
Faire reconnaître un lieu comme site du patrimoine mondial est un processus élaboré. Il faut d'abord que le bien soit inscrit sur le registre national du patrimoine de son pays avant d'entreprendre des démarches auprès de l'UNESCO. Puis, des organismes comme le Conseil international des monuments et des sites (ICOMO) émettent des avis, qui sont soumis à une longue procédure d'évaluation. Les biens proposés doivent satisfaire à au moins un des 10 critères de la Convention du patrimoine mondial. Tout ce processus peut prendre jusqu'à 10 ans. Mais, dans le cas de Québec, en 1985, ça a été plus rapide.
D'abord, parce qu'on était encore dans les premiers temps de la Convention, adoptée par l'UNESCO en 1972 et signée par le Canada en 1976, et que le processus était alors moins raffiné.
Ensuite, parce que dès le 19e siècle des efforts avaient été faits pour conserver le centre historique. Ce n'est toutefois qu'après la Deuxième Guerre mondiale que ces efforts se sont intensifiés. Dans les années 1970, Parcs Canada a notamment restauré les fortifications, alors que la Ville de Québec et le gouvernement du Québec ont déconstruit et reconstruit Place-Royale, et restauré des bâtiments datant des 17e et 18e siècles. Ces initiatives ont alimenté le dossier et favorisé l'inscription.
Enfin, parce que la candidature de Québec était très solide. La ville répond à 2 des 10 critères, alors qu'il suffit d'en satisfaire un seul. Elle est un exemple exceptionnel de ville coloniale fortifiée, de loin le plus complet au nord du Mexique (critère IV) et, en tant qu'ancienne capitale de la Nouvelle-France, elle représente une étape importante de la colonisation des Amériques par les Européens (critère VI). Tout cela explique pourquoi le dossier a été accepté sans aucune controverse.
Quels sont les avantages pour Québec d'être reconnue comme site du patrimoine mondial?
Le premier avantage, c'est la reconnaissance internationale. La Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO est unique et prestigieuse, et elle confère une renommée qui peut être une source de fierté et accroître le sentiment d'appartenance à une ville. Elle constitue également une belle vitrine pour les lieux qui y sont inscrits. Québec a été la première ville canadienne à se trouver sur cette liste. D'ailleurs, actuellement, il n'y a qu'une autre ville au pays qui partage cet honneur avec Québec, la ville de Lunenburg en Nouvelle-Écosse. Cela distingue donc aussi Québec sur le plan national.
Cette visibilité exceptionnelle va habituellement de pair avec le tourisme. Sur les 10 sites les plus visités au monde, 7 sont inscrits sur la Liste du patrimoine mondial. Les retombées touristiques pour la région sont donc majeures. On estime entre 7 et 8 millions le nombre de visiteurs par année à Québec. Le tourisme est ainsi devenu la principale activité économique de la ville. Sur le plan mondial, le tourisme est également un pôle économique majeur. L'Organisation mondiale du tourisme a calculé que, depuis 2015, les revenus du tourisme dépassent ceux du pétrole.
La reconnaissance patrimoniale par l'UNESCO a également permis à Québec de s'inscrire dans un réseau international et de s'y démarquer. En fait, la ville a participé activement à la création de l'Organisation des villes du patrimoine mondial (OVPM) au début des années 1990. Grâce au maire de l'époque, Jean-Paul L'Allier, qui croyait fermement en ce projet, Québec accueille depuis 1993 le siège de l'organisme, qui regroupe actuellement plus de 200 villes à travers le monde.

Laurier Turgeon est professeur au Département des sciences historiques et directeur de l'Institut du patrimoine culturel.
— Marc Robitaille
La conservation du statut de site patrimonial est-elle conditionnelle à certaines obligations?
Oui, le fait de ne pas remplir ces obligations peut entraîner l’exclusion, après plusieurs avertissements. En 2021, la ville de Liverpool a été exclue parce qu’elle avait détruit des bâtiments anciens de ses installations portuaires et érigé de hautes tours. En 2009, Dresde a aussi été retirée de la liste pour avoir construit un pont moderne. Toutefois, ces cas de retrait demeurent rares: on en compte seulement trois.
Les villes qui souhaitent préserver leur caractère patrimonial font face à plusieurs défis. Le tourisme, entre autres, est à double tranchant. De 2006 à 2021, la population du Vieux-Québec est passée de 5278 à 4609 résidents, une baisse de plus de 12%. Cette désaffection réduit la qualité de l’offre touristique à long terme. En effet, une ville inhabitée affecte l’authenticité de l’expérience touristique. L’exemple de Venise en Italie, qui a perdu les deux tiers de ses résidents, est souvent cité.
Il y a aussi des enjeux environnementaux. Si les prédictions scientifiques s’avèrent, l’eau du fleuve Saint-Laurent montera de 50 cm d’ici 2050, ce qui signifie qu’une partie de la Basse-Ville se retrouvera sous le niveau de l’eau. Quant aux enjeux patrimoniaux, ils touchent également les savoir-faire traditionnels, souvent transmis oralement. Il y a présentement un déclin des métiers de la restauration puisque les grands chantiers datent des années 1970. S'il y a une rupture dans la transmission des savoir-faire, ça peut représenter une perte importante pour le patrimoine immatériel de la ville.
En tant que siège de l’OVPM, Québec a une responsabilité particulière: celle de montrer l’exemple. Or, il y a peu de recherches scientifiques sur tous ces enjeux. Je pense que les universités pourraient jouer un rôle important pour produire un plan concerté entre les trois paliers politiques partenaires (municipal, provincial et fédéral). Ce plan permettrait d’obtenir une vision à long terme et de déterminer des objectifs clairs et précis ainsi que des indicateurs pour mesurer les progrès réalisés annuellement.
Propos recueillis par Manon Plante
Le professeur Turgeon organise le Colloque du 40e anniversaire de l'inscription de la Ville de Québec sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, qui a lieu le 3 décembre. Le lancement à Québec de l'Encyclopédie des patrimoines de l'Amérique française, un ouvrage qu'il codirige, a lieu le même jour.

























