
La Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail, aussi connue sous le nom de loi 27, oblige les organisations comptant au moins 20 personnes employées à identifier, à contrôler et à éliminer, dans la mesure du possible, les risques psychosociaux du travail.
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Depuis 1979, le Québec oblige les employeurs à protéger la santé et la sécurité physique des travailleuses et travailleurs. À l’époque, la santé mentale n’était pas mise de l’avant. Mais les choses ont changé: depuis 2021, une nouvelle loi – la loi 27 – élargit cette protection pour inclure le bien-être psychologique. Elle demande spécifiquement aux employeurs de prévenir les risques psychosociaux (RPS).
Un délai a été accordé pour permettre aux organisations de s’adapter. Ce délai a pris fin le 1er octobre 2025, avec l’entrée en vigueur du Règlement sur les mécanismes de prévention et de participation en établissement. Depuis cette date, les entreprises de 20 personnes employées et plus doivent mettre en place un programme de prévention qui tient compte des RPS.
Les professeures Caroline Biron et Elena Laroche, du Département de management, expliquent les défis que cela pose pour les milieux de travail.
Caroline Biron, qu’entend-on par risques psychosociaux?
C’est très important de bien définir les risques psychosociaux parce que ce mot peut engendrer une certaine confusion. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, les RPS sont les risques liés à l’organisation du travail, aux pratiques de gestion, aux conditions d’emploi et aux relations sociales qui augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des personnes exposées. Les employeurs doivent maintenant protéger l’intégrité psychique du personnel et prévenir les RPS au même titre que les autres risques au travail. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) priorise trois risques que les employeurs devront prendre en compte: 1) le harcèlement, 2) les événements potentiellement traumatiques et 3) la violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.
Il y a aussi ce qu’on appelle des facteurs de risques psychosociaux qui interagissent avec les RPS. Par exemple, la charge de travail excessive, le fait d’avoir peu d’autonomie ou de soutien social au travail de ses collègues ou de ses supérieurs, ou encore le fait de se sentir peu reconnu pour ses efforts sont des facteurs qui rendent vulnérable et qui portent atteinte à la santé psychologique.
Pour ma part, je trouve que l’accent n’est pas suffisamment mis sur ces facteurs de RPS, alors qu’une littérature abondante montre très clairement qu’ils sont responsables de plusieurs problèmes de santé comme la dépression, les maladies cardiovasculaires et les troubles musculosquelettiques. Ces facteurs de risques ont également des répercussions sur la performance des entreprises. La chercheuse québécoise Caroline Duchaîne a d’ailleurs publié une excellente méta-analyse sur les liens entre les facteurs de RPS et les absences certifiées pour raisons de santé mentale.
Selon la CNESST, les facteurs de RPS peuvent favoriser l’apparition des risques prioritaires. C’est tout à fait vrai. Par exemple, des études montrent que les employés qui ont une charge élevée et une faible autonomie sont plus à risque d'être harcelés. C’est pourquoi la CNESST recommande aux organisations de demeurer vigilantes quant aux facteurs de RPS. Toutefois, distinguer RPS et facteurs de RPS peut aussi causer bien des questionnements chez les employeurs: finalement, doit-on prévenir seulement les risques prioritaires ou tous les facteurs de risque?
Elena Laroche, quelles sont exactement les obligations des employeurs selon la nouvelle réglementation en vigueur?
L’entrée en vigueur, le 1er octobre 2025, du Règlement sur les mécanismes de prévention et de participation en établissement (RMPPE), rend désormais applicable l’obligation d’avoir un programme complet de prévention pour les organisations de 20 travailleurs ou plus. Maintenant, selon le RMPPE, ces dernières devront d’ici un an élaborer et mettre en application un programme de prévention qui prend en compte les RPS, en privilégiant une hiérarchie de mesures de prévention. Dans cette hiérarchie prévue au règlement, les mesures visant à prévenir les risques à la source sont favorisées, comparativement à celles qui soutiennent les employés sans éliminer le risque. En d’autres mots, les employeurs ne peuvent pas se limiter à instaurer un programme d’aide aux employés et prétendre répondre aux obligations de la loi. Ils doivent adopter une approche proactive, structurée et durable pour intervenir sur les causes plus fondamentales et organisationnelles des risques.

Caroline Biron (à gauche) est directrice du Centre d'expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail. Elle s’intéresse aux interventions organisationnelles pour réduire le stress au travail et les problèmes de santé psychologique. Elena Laroche (à droite) est spécialiste des mécanismes de gestion de la santé et de la sécurité au travail. Toutes deux sont professeures à la Faculté des sciences de l’administration.
Caroline Biron, de manière concrète, que doivent faire les organisations pour tenter de prévenir les RPS à la source?
De nombreux travaux montrent que les organisations bienveillantes, c’est-à-dire celles dont le climat de sécurité psychosocial (CSP) est élevé, ont de meilleurs résultats en matière de santé mentale. Le CSP correspond aux perceptions des travailleurs quant à l’importance que l’organisation accorde à la protection de leur santé psychologique. De récents travaux en Australie ont montré qu’un CSP très faible entraîne 160% de plus de jours d’invalidité comparativement à un CSP élevé. De même, les dépenses liées aux maladies étaient 104% plus élevées dans les organisations à très faible CSP.
Pour obtenir un bon climat de sécurité psychosocial et ainsi agir en amont à la fois des RPS et des facteurs de RPS, on doit avoir dans nos pratiques, politiques, procédures, donc dans nos enjeux de gouvernance, la santé psychologique au cœur de nos priorités stratégiques. On peut s’intéresser à quatre composantes principales. Tout d’abord, la haute direction de l’entreprise doit afficher un fort engagement dans le maintien de la santé psychologique du personnel. Deuxièmement, une priorité doit être accordée à la santé psychologique autant qu’aux objectifs de productivité. Troisièmement, les communications sur le sujet doivent être fréquentes, libres et respectueuses. Ces communications doivent aller de pair avec l’écoute des préoccupations des employés. Finalement, il faut consulter toutes les parties prenantes à la prévention et mobiliser leur participation. L’implication de tous est vraiment la clé d’un climat de sécurité psychosocial élevé.
Pour en savoir plus sur le climat de sécurité psychosocial, consulter le projet BaromÊtre de la professeure Biron
En savoir plus sur la loi 27
Consulter l’article de Caroline Duchaine sur les liens entre risques psychosociaux et l’absentéisme pour maladie mentale
Consulter un article sur les coûts associés au climat de sécurité psychosocial
Propos recueillis par Manon Plante

























