
Le premier ministre du Québec, François Legault, et le premier ministre du Canada, Mark Carney, lors d'une rencontre en mars 2025. Les relations entre les provinces et Ottawa semblent au beau fixe depuis l'élection de Mark Carney.
— Compte X de François Legault/Émilie Nadeau
Depuis l’élection de Mark Carney, le ton des échanges entre les premiers ministres des provinces et celui du Canada donne à penser que le Canada est plus uni qu’il ne l’a été depuis des décennies. À la veille de la Fête nationale du Québec et à quelques jours de la Fête du Canada, Eric Montigny, professeur au Département de science politique de l'Université Laval et spécialiste des institutions politiques canadiennes et québécoises, analyse le phénomène.
Au cours des derniers mois, nous assistons à ce qui semble être une forte remontée du sentiment de fierté canadienne et d’unité entre Ottawa et les provinces, même au Québec. Faut-il en remercier Donald Trump ou Mark Carney?
Un peu les deux. Dès son entrée en fonction comme premier ministre, avant même l’élection, Mark Carney a pris soin de rencontrer individuellement plusieurs de ses homologues des provinces. La rencontre de l’ensemble des premiers ministres réunis à Saskatoon, en début juin, était plus formelle. Cela témoigne d’une volonté de faire fonctionner les mécanismes du fédéralisme exécutif canadien. Dans l’affrontement tarifaire avec Donald Trump, le Conseil de la fédération, présidé par Doug Ford et regroupant les premiers ministres des provinces et territoires, avait occupé le vide créé par la crise du leadership de Justin Trudeau. Une solidarité s’était alors forgée. On se souviendra même du voyage des premiers ministres à Washington et de leur présence inusitée à la Maison-Blanche. Le gouvernement fédéral était depuis en rattrapage.
Cela dit, il n’y a rien de tel pour unir un groupe que le fait d’avoir un adversaire commun ou une menace commune. C’est le cas avec Donald Trump. On a assisté depuis son assermentation à un resserrement des rangs. C’est aussi vrai auprès de la population qu’auprès de ses principaux dirigeants. En science politique, on parle d’un effet de ralliement sous le drapeau en temps de crise (rally ‘round the flag). C’est un peu ce qu’on observe actuellement avec la montée du nationalisme canadien. Terminé l’État postnational de Justin Trudeau. Mark Carney a même nommé un ministre de l’Identité canadienne! Et comme consommateurs, plusieurs Canadiens boudent les produits américains et les voyages aux États-Unis.
Qu'est-ce qui pourrait ternir cette belle harmonie?
En 2015, Justin Trudeau promettait de pratiquer un fédéralisme de coopération. Cela n’a pas duré. Il a plutôt multiplié les affrontements avec plusieurs provinces. D’ailleurs, une recension des engagements électoraux des partis que j’avais réalisée lors des élections de 2021 concluait que la majorité des engagements de Justin Trudeau étaient pris dans les compétences des provinces.
On sait encore peu de choses de la vision du fédéralisme de Mark Carney, si ce n’est qu’il semble avoir renoué avec le discours traditionnel des peuples fondateurs en ajoutant les Premières Nations aux Français et aux Britanniques. Il insiste également sur la création d’une seule économie canadienne plutôt que 13 en voulant faire tomber les barrières interprovinciales. Il ajoute aussi vouloir réaliser rapidement des projets structurants d’intérêt national, tout en respectant le pouvoir de chaque province de s’y opposer sur son territoire. Pour l’instant, l’harmonie règne. Même la première ministre de l’Alberta semble être rentrée dans le rang.
Les premières dissensions risquent d’apparaître lorsque les négociations avec l’administration américaine sur le renouvellement de l’Accord de libre-échange avanceront. On pourrait alors voir apparaître des intérêts divergents dans la négociation selon les secteurs économiques visés. Par exemple, le secteur de l’automobile est concentré en Ontario, alors que l’aluminium se trouve principalement au Québec, tout comme l’industrie laitière. La foresterie est présente en Colombie-Britannique, mais aussi au Québec, alors que le pétrole est en Alberta. Par ailleurs, des enjeux de politiques intérieures se manifesteront. Pensons aux interventions du gouvernement fédéral dans le dossier de la laïcité ou de la langue.
Le Parti québécois risque-t-il de faire les frais de cette ferveur nationaliste canadienne?
Lors de la dernière élection fédérale, on a senti un réflexe de protection des Québécois face aux États-Unis. Cela a largement profité aux libéraux de Mark Carney, qui ont fait des gains au détriment du Bloc québécois. Ce dernier a perdu le tiers de ses sièges. Quelques mois auparavant, Yves-François Blanchet pouvait espérer faire suffisamment de gains pour occuper le siège de chef de l’opposition officielle à la Chambre des communes, comme Lucien Bouchard en 1993.
La menace américaine n’était pas qu’économique, elle avait aussi une dimension existentielle. Ce réflexe de «bouclier canadien» reposerait sur la perception que faire partie d’un plus grand ensemble assurerait une meilleure protection de l’identité québécoise face aux visées de Donald Trump. Mais aussi sur un accès au marché économique canadien alors que plane un grand risque sur nos exportations vers les États-Unis.
Est-ce que le résultat décevant du Bloc québécois serait, comme le canari dans la mine, annonciateur d’un recul pour le Parti québécois (PQ) dans l’opinion publique? Six mois en politique, c’est une éternité, comme le rappelait souvent Robert Bourassa. Cela dit, dans le mouvement souverainiste, il y a toujours eu des tensions entre une posture indépendantiste assumée et un certain pragmatisme. C’est cette posture pragmatique qui fut reprochée par Paul Saint-Pierre Plamondon à Yves-François Blanchet au lendemain de l’élection. Il devient donc de plus en plus difficile pour le chef du PQ de reculer sur son engagement, et ce, même si la pression va monter à l’approche des élections québécoises.
Propos recueillis par Jean Hamann