
Charles III, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, est également roi de 14 États souverains, dont le Canada. Il a accédé au trône en 2023 à l'âge de 73 ans.
— Millie Pilkington
Le 27 mai prochain, à Ottawa, les membres du Parlement canadien accueilleront un invité de marque dans la Chambre du Sénat. Le roi Charles III, souverain de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, en visite éclair au Canada, fera la lecture du discours du Trône. Traditionnellement, ce discours marque le coup d'envoi de la nouvelle session parlementaire. En visite à Londres, le premier ministre Mark Carney avait personnellement demandé au souverain de venir faire cette lecture au Canada. Les explications de Patrick Taillon, professeur à la Faculté de droit, spécialisé en droit constitutionnel et en droit administratif.
Que symbolise la lecture d'un discours aussi important par le roi Charles III?
La visite prochaine du roi au Canada soulève, une fois encore, la délicate question du rapport trouble que ce pays entretient avec sa souveraineté et son indépendance.
Juridiquement parlant, Charles III est bel et bien le roi du Canada, distinctement investi de cette fonction constitutionnelle. Une même personne, Charles III, occupe plusieurs charges, plusieurs fonctions, plusieurs couronnes… Pourtant, force est d'admettre que cette situation révèle une certaine persistance d'une tutelle britannique. Le Canada demeure lié au Royaume-Uni par une union personnelle qui confie à la même personne les rôles de chef d'État des deux pays.
Charles III occupe ainsi officiellement au moins deux emplois: celui de roi du Royaume-Uni et celui de roi du Canada. Lorsqu'il vient lire le discours du Trône au Canada, il exerce les pouvoirs qui sont véritablement les siens. Ce geste ne saurait donc être considéré comme une ingérence étrangère; il s'agit simplement du fonctionnement ordinaire de nos institutions. Ce qui est anormal ou extraordinaire, c'est d'avoir un chef d'État qui passe l'essentiel de son temps à l'extérieur du Canada, à régner sur d'autres royaumes… et à se faire représenter ici par un gouverneur général et des lieutenants-gouverneurs.
Ce fonctionnement est précisément ce qui met en lumière l'ambiguïté fondamentale des institutions canadiennes quant à leur indépendance réelle vis-à-vis de l'héritage colonial britannique. Cette situation, loin d'être purement symbolique, est renforcée par les interprétations des tribunaux canadiens.
Quelle serait l'influence des tribunaux à cet égard?
La Cour d'appel du Québec a récemment confirmé une lecture du droit qui aligne directement les règles canadiennes de succession, ou de désignation du chef de l'État, sur celles du Royaume-Uni, affirmant de facto cette continuité institutionnelle et historique. Cela veut dire que si un jour les Britanniques abolissaient leur monarchie ou la remplaçaient par une autre, ces réformes adoptées par une simple loi du Parlement de Westminster s'appliqueraient automatiquement au Canada. En adoptant une telle interprétation des règles de succession, les tribunaux ont non seulement maintenu une capacité du Parlement britannique de faire des choix et d'imposer des changements au Canada, mais ils ont aussi placé le Canada dans une certaine fragilité institutionnelle. Que faire par exemple si un coup d'État survient cette nuit au Royaume-Uni? À suivre la jurisprudence canadienne, le nouveau chef d'État du Royaume-Uni serait automatiquement chef d'État du Canada.
Le Québec se démarque particulièrement par un large consensus en faveur de l'abolition de la monarchie. Sans surprise, ce consensus québécois ne trouve pas d'équivalent aussi clair dans le reste du Canada. En effet, ni les élus des autres provinces ni ceux des deux chambres du Parlement fédéral ne partagent cette volonté de rompre avec l'institution monarchique, ce qui maintient intacte l'ambiguïté institutionnelle et historique canadienne.
Lors d'un point de presse, le premier ministre Carney a déclaré que la présence du roi au Parlement soulignait la souveraineté du Canada. Qu'en est-il?
En plaçant les projecteurs sur la monarchie et sur Charles III, le premier ministre Carney tente habilement de théâtraliser cette spécificité institutionnelle canadienne. Il cherche à affirmer une distinction nette vis-à-vis de la république fédérale étatsunienne. Toutefois, cette affirmation relève du paradoxe. Comment soutenir crédiblement que la présence royale britannique incarne une affirmation d'indépendance à l'égard des États-Unis? L'union personnelle, rappelée par la présence même du roi Charles III, souligne au contraire une dépendance historique et institutionnelle profonde à l'égard de l'héritage colonial britannique.
En réalité, cette visite royale agit davantage comme un révélateur de la fragilité intrinsèque de la souveraineté canadienne. Elle rappelle immanquablement l'importance de l'attachement historique à l'empire britannique, particulièrement marqué chez les loyalistes qui ont fondé et façonné l'essentiel de l'Ontario après la guerre d'indépendance américaine. Ainsi, loin d'être un geste d'affirmation souveraine, la présence de Charles III au Canada apparaît davantage comme une manifestation du rapport complexe et paradoxal que le Canada entretient encore aujourd'hui avec son indépendance et son héritage colonial.
Propos recueillis par Yvon Larose