Le 5 novembre, le monde entier avait les yeux tournés vers la soirée électorale américaine. Après une campagne au coude-à-coude, la réélection de Donald Trump laisse planer plusieurs questions, notamment au Canada. Voici une analyse d'Arthur Silve, professeur du Département d'économique et directeur des programmes de l'École supérieure d'études internationales.
Quel impact aura «l'Amérique d'abord» sur l'économie mondiale, et plus particulièrement sur celle du Québec et du Canada?
La politique de «l'Amérique d'abord» de Donald Trump se concentre sur une série de mesures protectionnistes visant à protéger l'économie américaine, notamment par la renégociation d'accords commerciaux – comme le passage de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) à l'Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM) –, le rapatriement de capacités industrielles et un repli sécuritaire qui favorise les intérêts américains au détriment des alliés. Pour le Canada et le Québec, qui exportent massivement vers les États-Unis (74% des exportations québécoises y sont destinées, avec un surplus commercial de 40 milliards$), cette orientation protectionniste pose un défi majeur, en particulier pour des secteurs comme l'acier, l'aluminium, le bois d'œuvre et l'agriculture.
En 2026, l'ACEUM doit être révisé, et certains secteurs critiques risquent à nouveau d'être mis en péril. L'industrie automobile, intégrée de manière étroite entre les deux pays, pourrait subir une pression importante si une hausse généralisée des droits de douane était imposée, affectant la compétitivité de la filière et menaçant des milliers d'emplois des deux côtés de la frontière. Cette incertitude entourant les droits de douane et les révisions commerciales incite les entreprises canadiennes à chercher de nouveaux marchés, mais un tel repositionnement est coûteux et long à mettre en œuvre.
Ainsi, «l'Amérique d'abord» pourrait fragiliser l'économie canadienne et québécoise, renforçant la dépendance commerciale tout en compliquant les relations économiques. L'effet global pourrait être une réduction de la croissance, un risque d'inflation dû à la hausse des coûts d'importation, et une incertitude pour les investisseurs.
Que peut-on s'attendre de l'administration Trump en politique étrangère?
Sous une administration Trump, la politique étrangère américaine risque de prendre une orientation transactionnelle où l'idée de coopération est perçue comme une faiblesse. Cela signifie un retrait du leadership américain dans plusieurs domaines, créant des vides de pouvoir qui pourraient encourager des actions unilatérales d'autres puissances, notamment la Chine et la Russie.
La Chine, par exemple, pourrait interpréter l'éloignement des États-Unis comme une situation favorable pour intensifier ses ambitions dans la région, notamment envers Taïwan. La Russie, de son côté, espère un désengagement des États-Unis de l'Ukraine, ce qui pourrait déstabiliser davantage l'Europe de l'Est. Par contraste, Israël semble pouvoir compter sur un soutien renouvelé, ce qui pourrait accentuer les tensions au Moyen-Orient, notamment face à l'Iran.
En matière économique, la vision transactionnelle de Trump se traduit aussi par une intensification de la guerre technologique entre les États-Unis et la Chine. Ce conflit risque de fragmenter les chaînes de valeur mondiales, rendant les investissements dans des pays alliés des États-Unis plus risqués. Une telle division mondiale pourrait entraîner des relocalisations d'industries, une hausse des coûts de production, et une instabilité des marchés mondiaux. Au total, le retrait de l'hégémonie américaine génère un environnement chaotique, où l'économie mondiale serait plus fragmentée et les risques politiques amplifiés.
Qu'est-ce que les gains républicains au Sénat et à la Chambre des représentants laissent présager pour la présidence de Trump?
Au moment d'écrire ces lignes, les républicains s'apprêtent à prendre le contrôle du Sénat et de la Maison-Blanche. Ils disposent, en outre, d'une majorité conservatrice solide à la Cour suprême. Cette combinaison va leur permettre de façonner l'Amérique de demain à leur image, de faciliter de nombreuses nominations administratives, judiciaires et militaires d'individus qui adhèrent à la vision du monde MAGA (Make America Great Again). L'héritage de cette victoire va donc avoir des répercussions, pour plusieurs décennies, sur une vision de la famille plus traditionnelle, sur une méfiance vis-à-vis des immigrants, sur les droits de certaines minorités, etc.
Aujourd'hui, impossible de savoir qui contrôlera la Chambre des représentants, qui schématiquement dispose du budget. Difficile à Donald Trump de respecter la plupart de ses promesses de campagne sans le contrôle de la Chambre des représentants, qui seule peut autoriser les dépenses les plus significatives. C'est donc sur cette élection que se porte aujourd'hui notre attention, car elle va déterminer quelles composantes du programme républicain peuvent effectivement être mises en œuvre.
Soirée des élections américaines
Près de 300 personnes ont assisté à la soirée électorale américaine organisée par l’École supérieure d’études internationales (ESEI), en collaboration avec l’Association des étudiantes et des étudiants de Laval inscrits aux études supérieures (AELIES) et la Chaire publique AELIES. En plus des nombreux membres de la communauté étudiante de l’Université, l’assistance était formée, en bonne partie, de gens du grand public.
Pendant une heure, quatre panélistes ont discuté des différents enjeux qui ont marqué la campagne électorale, tels que l’économie et le commerce, l’immigration, la politique étrangère américaine et le vote des femmes. Il a aussi été question de l’incidence qu’aurait une administration Trump ou Harris sur le Québec et le Canada.
Les panélistes invités étaient Arthur Silve, professeur au Département d’économique et directeur des programmes de l'ESEI, Jonathan Paquin, professeur au Département de science politique et directeur de l'ESEI, Marie-Claude Francoeur, sous-ministre adjointe aux relations Amériques, affaires économiques et intelligence stratégique au ministère des Relations internationales et de la Francophonie, et Yan Cimon, professeur au Département de management.
Le visionnement du dépouillement du vote a été ponctué d’interventions du journaliste Xavier Savard-Fournier, qui était en direct du comté de Maricopa en Arizona. Puis, les panélistes, de retour sur scène en fin de soirée, ont pu répondre aux questions des personnes dans la salle et ont analysé les résultats.
L’animation de la soirée a été assurée par Salimatou-Ismael Tounkara, étudiante à la maîtrise en études internationales et coordonnatrice aux affaires internes et associatives de l’AELIES.