
Le pape François prenant un bain de foule sur la place Saint-Pierre au Vatican, à Rome. Il privilégiait une relation directe avec les personnes. Il était préoccupé par l'inclusion et l'accueil de toutes et de tous. Le défi de son successeur sera d'accompagner avec compassion, comme un bon pasteur, l'Église et le monde dans cette période incertaine.
— Alfredo Borba
Le pape François n'est plus. Le chef spirituel de 1,4 milliard de catholiques a rendu l'âme le 21 avril à Rome, au lendemain de la fête de Pâques. Il avait 88 ans. Quel héritage laisse ce jésuite d'origine argentine aux catholiques du monde entier? Quel profil aura son successeur et quels défis aura-t-il à relever? Le professeur Gilles Routhier, spécialiste de la papauté à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l'Université Laval, répond à ces questions.
Quel héritage François laisse-t-il?
Un vent de fraîcheur qui se traduit par un style et des préoccupations. Un style simple, dépouillé de la pompe et du protocole, direct. Cela s'exprime dans le vêtement: exit les souliers rouges, la mosette de velours rouge bordée d'hermine blanche. Exit aussi le choix d'un lieu de résidence officiel par l'abandon des appartements du palais apostolique, de la Mercedes de fonction, etc. Une relation directe avec les personnes qu'il appelait au téléphone, sans prévenir, sans protocole. Chaque soir, par exemple, au cours des derniers mois, il appelait le curé de Gaza pour le soutenir. Il était bien lorsqu'il était avec les gens simples, comme c'était le cas lorsqu'il était archevêque de Buenos Aires, voyageant en transport en commun, visitant les favelas. Il souhaitait une «Église pauvre avec les pauvres», selon son expression.
Cela me conduit à parler de ses préoccupations, ce qui était central pour lui. La réponse va sembler banale, ce sont les personnes, peu importe leur parcours, leur provenance, leur orientation. Il croyait sincèrement et très profondément que l'Église est la maison de tous et de toutes. Il aimait à le répéter. L'inclusion et l'accueil de toute personne le préoccupaient.
Parmi les candidats les plus sérieux, lesquels apparaissent comme les plus susceptibles de remplacer le pape?
Le conclave nous réserve sans doute des surprises; ce sera un conclave comme on n'en a jamais eu. Par exemple, au dernier conclave, il y avait 10 cardinaux électeurs en provenance d'Asie. Aujourd'hui, ils sont 30, trois fois plus. L'Europe comptera 39,2% des cardinaux en âge de voter, contre 52% en 2013. D'importants diocèses, de grands sièges traditionnellement cardinalices tels Milan, Cologne et Paris ne sont pas dirigés aujourd'hui par des cardinaux. Le conclave inclura des voix en provenance des périphéries, du Myanmar, de l'Iran, d'Irak, de la Mongolie, et autres. Quelle idée du pape auront ces cardinaux venus de petites chrétientés excentrées? On a l'habitude de faire des projections de papabili, les cardinaux susceptibles d'être élus, à partir de notre vision occidentale des choses. On pourrait être déjoués et les surprises pourraient être au rendez-vous.
D'excellents candidats seront sans doute écartés pour des raisons accidentelles. Par exemple, on peut difficilement imaginer qu'on élise deux jésuites d'affilée. Pourtant certains se qualifieraient pour la fonction. Choisira-t-on deux fois de suite un membre du même ordre religieux? Ce serait exceptionnel. Je ne pense pas non plus que l'on choisisse parmi les cardinaux qui ont plus que 76 ans – même si cela s'est déjà vu au cours du dernier siècle – ou moins de 64 ans, même s'il y aurait d'excellents choix dans ces cohortes. Cela réduit de 60 sur 135 le nombre de ceux qui risquent d'être choisis. On ne voudra probablement pas d'un pontificat trop long, l'allongement de l'espérance de vie faisant tourner les électeurs vers un cardinal qui est dans la moyenne d'âge des électeurs, soit plus ou moins 70 ans.
Les personnalités trop marquées idéologiquement, trop clivantes ou polarisantes, qui pourraient provoquer des tensions ou des divisions dans l'Église, seront également écartées. On se tournera vers des personnes rassembleuses, capables de faire l'unité, mais on cherchera tout de même des personnes qui ont du charisme et du leadership.
Cela dit, il y a d'excellents papabili. CNN place au nombre de ceux-ci deux Canadiens. À mon sens, ils peuvent obtenir des votes au premier ou au deuxième tour, mais ils se désisteront en faveur de quelqu'un d'autre. On pourrait s'attendre qu'au premier tour, les voix soient très dispersées et ce n'est qu'au deuxième ou au troisième tour que des personnalités émergeront. On peut s'attendre à un conclave qui comptera entre 4 à 6 scrutins, voire plus. Au conclave de 2013, on ne comptait que 115 électeurs. Cette fois-ci, on pourrait en compter 135, soit 20 de plus. L'atteinte d'une majorité des deux tiers sera plus difficile à obtenir.
Quels défis le prochain pape aura-t-il à relever?
François disait que nous ne sommes pas à une époque de changements, mais que nous vivions un changement d'époque. Le défi de son successeur sera d'accompagner avec compassion, comme un bon pasteur, l'Église et le monde dans cette période incertaine, une période de transition où le monde que l'on connaît depuis la Deuxième Guerre mondiale est à se redéfinir. Être un pôle stable dans ce monde en mutation, une conscience pour l'humanité qui se cherche. Son rôle ne se limitera pas aux frontières de l'Église catholique. Il devra être un veilleur en ces temps troublés.
Propos recueillis par Yvon Larose