
La Ligue professionnelle de hockey féminin comprend trois équipes au Canada et autant aux États-Unis. Ici, la Victoire de Montréal affronte le Fleet de Boston dans un match des séries éliminatoires.
— Pascal Ratthé
Le hockey professionnel féminin connaît un véritable engouement depuis la création de la Ligue professionnelle de hockey féminin (LPHF) en 2023. Le 1er mars, une foule de 17 324 personnes était rassemblée au Centre Bell, à Montréal, pour assister au match de la Victoire de Montréal contre le Fleet de Boston. Le 19 janvier, ce sont plus de 18 000 personnes qui ont rempli le Centre Vidéotron, à Québec, alors que la Victoire de Montréal affrontait la Charge d'Ottawa. Voici une analyse de Guylaine Demers, professeure au Département d'éducation physique.
Il y a eu des tentatives infructueuses pour mettre sur pied une ligue professionnelle de hockey féminin dans le passé. Quels sont les facteurs qui expliquent le succès de cette nouvelle initiative?
Le succès du sport féminin repose sur des facteurs sociaux, culturels et économiques. Tout d'abord, nous vivons dans une société où on voit de plus en plus de changements sociaux en faveur de l'égalité des genres. De plus en plus de gens sont maintenant conscients des inégalités femmes-hommes et sont en faveur d'un monde plus égalitaire. Cela touche aussi le monde du sport. Par exemple, les parents qui ont une fille qui fait du sport souhaitent qu'elle ait les mêmes occasions que les garçons. Il y a de moins en moins de tolérance face à un traitement différencié qui avantage toujours le sport masculin dans son ensemble.
Plus particulièrement concernant le succès de la Ligue professionnelle de hockey féminin, la première raison est la création de l'Association des joueuses de hockey professionnel (PWHPA). Les athlètes professionnelles ont fait entendre leur voix, entre autres choses, en boycottant les ligues de hockey existantes dans le but d'établir une vraie ligue professionnelle où toutes les composantes du succès des athlètes seraient prises en compte. Elles ont été entendues. Ainsi, à cause des injustices vécues par les athlètes féminines, le milliardaire américain Mark Walter, dirigeant du Mark Walter Group et propriétaire des Dodgers de Los Angeles, a décidé de rebâtir une ligue avec l'intention d'offrir aux athlètes un contexte d'entraînement et de compétition de niveau professionnel.
L'aspect économique est le troisième ingrédient qui explique le succès de la ligue. L'argent a toujours été le nerf de la guerre, mais cette fois-ci, les investisseurs derrière la ligue ont de l'expérience en sport professionnel et ont mis sur pied un modèle d'affaires avec une vision à court, moyen et long terme.
Ce qui se passe en ce moment avec la LPHF est pour moi une démonstration éloquente de la popularité du sport féminin et une illustration claire que les fans de sport étaient prêts et impatients de pouvoir enfin célébrer les succès d'athlètes féminines et admirer leurs prouesses. Nous en sommes à la deuxième année d'existence de la ligue et force est de constater que la popularité de la ligue ne s'estompe pas, au contraire elle augmente.
Quelles conditions faut-il réunir pour que la popularité du hockey professionnel féminin se maintienne?
Je dirais que les conditions gagnantes pour que la popularité du hockey professionnel féminin se maintienne sont très similaires à celles qui ont permis sa mise sur pied: le talent, le soutien financier, la visibilité médiatique. Le talent: l'émergence d'athlètes devenues de véritables icônes pour les jeunes générations contribue de façon importante à la popularité et amplifie le phénomène. Le soutien financier: l'homme d'affaires Mark Walter a l'expérience du sport professionnel, et le fait de miser sur des coûts de billets qui sont raisonnables permet de rallier des personnes moins riches et les familles. La visibilité: assurer une médiatisation réelle des activités des équipes via les médias traditionnels et une diffusion gratuite sur YouTube permet de rejoindre un public de hockey ainsi qu'un public s'intéressant généralement peu au sport. Le hockey féminin sort enfin de l'ombre et la population découvre l'ampleur du talent féminin que nous avons ici.
Quelles seraient les retombées de la création d'une équipe professionnelle de hockey féminin à Québec pour le développement de ce sport chez nous?
Le premier impact touche le membership en hockey féminin. Déjà, l'engouement pour la ligue et ses athlètes a provoqué une augmentation importante du nombre de filles dans les ligues de hockey. Les camps de hockey féminin organisés par différentes organisations, comme les Titans du Cégep Limoilou, débordent. La visibilité et le talent d'athlètes d'ici, comme Marie-Philip Poulin et Ann-Renée Desbiens, permettent aux petites filles de se projeter dans le futur, de se voir elles aussi porter un gilet d'une équipe professionnelle.
Il y aurait assurément un renforcement de la communauté et le développement d'un sentiment collectif de fierté – on parle encore des Nordiques. On rêve d'une rivalité Québec-Montréal au féminin!
Avec la popularité vient un certain nombre de défis, et le prochain à relever concerne les infrastructures et les structures d'accueil: les filles sont là, mais où peuvent-elles jouer? L'arrivée d'une équipe professionnelle à Québec ne favoriserait-elle pas le développement d'infrastructures sportives locales? Le système sportif doit rapidement s'adapter à cette demande grandissante en mettant sur pied plus de ligues féminines. Hockey Québec a un rôle déterminant à jouer, mais également notre structure du sport scolaire (RSEQ). Évidemment, en écrivant cela, je ne peux terminer sans rêver d'une équipe féminine de hockey aux couleurs Rouge et Or...