
La série Adolescence, qui met en scène un garçon de 13 ans soupçonné du meurtre d’une fille de son école, met en lumière la montée des discours misogynes dans les établissements d'enseignement secondaire. Ces discours, autrefois plus discrets ou cantonnés à certains réseaux isolés, s’expriment aujourd’hui de manière décomplexée chez certains adolescents. Parmi ces discours, on retrouve celui des «incels» (les célibataires involontaires).
— Netflix
Le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont annoncé vouloir se servir de la série britannique Adolescence pour sensibiliser les jeunes aux dérives masculinistes. Immense succès sur Netflix, cette série met en scène un meurtre qui s'inscrit dans un continuum de violences sexistes et met notamment en lumière la montée des discours misogynes dans les écoles du Royaume-Uni. Comme l'explique Roxanne Guyon, professeure en sexologie à la Faculté de médecine, le Québec n'est pas épargné par la montée de ces discours.
Qu'est-ce qui peut expliquer cette montée des discours misogynes dans les écoles du Québec?
Certains «influenceurs» masculinistes qui promeuvent des discours misogynes sur les plateformes numériques, tels qu'Andrew Tate, ont connu une impressionnante notoriété auprès des jeunes garçons durant la pandémie, où l'on a constaté une consommation importante de ce type de contenu. Cette montée des discours misogynes peut s'expliquer, entre autres, par une réaction défensive face au mouvement #metoo et à la promotion de l'égalité de genre: certains garçons perçoivent les progrès en matière de droits des femmes comme une perte de pouvoir, de privilège ou de repères. Reflétant les contrecoups des dénonciations ayant eu lieu dans le cadre du mouvement #metoo, plusieurs évoquent l'impression de devoir se censurer ou se surveiller de façon excessive, alimentant un sentiment de perte de liberté ou d'inversion des rapports de pouvoir.
Or, l'école est un espace de socialisation où l'identité se développe, se négocie, et où les normes de genre sont visibles. Les jeunes y passent de longues heures entourés de leurs pairs, dans un contexte de validation sociale constante. Ainsi, les discours de domination peuvent trouver écho auprès des garçons, où les blagues sexistes et les discours misogynes peuvent servir à acquérir un certain statut social ou à renforcer les liens avec leur groupe de pairs. Par ailleurs, bien que plusieurs membres du personnel soient sensibles à ces enjeux, les écoles manquent souvent de ressources, de formation ou de soutien pour intervenir face à des discours misogynes et à des comportements sexistes. Ainsi, la misogynie se propage dans les écoles parce qu'elle est banalisée, valorisée, peu remise en question et alimentée par des discours masculinistes et antiféministes auxquels les jeunes sont exposés en ligne et auxquels ils s'identifient.
Pourquoi certains garçons s'identifient-ils à des figures comme Andrew Tate?
Des figures comme Andrew Tate séduisent les garçons en proposant une image de la masculinité présentée comme forte et valorisante: puissance, contrôle, réussite, virilité. Pour les adolescents, qui peuvent être en quête de repères pour forger leur identité, ce type de discours peut exercer une forte attraction, surtout dans un contexte social où les modèles traditionnels sont remis en question. Les garçons peuvent donc être plus facilement séduits par les modèles qui correspondent à l'image stéréotypée qu'ils se font de la masculinité. Aussi, certains garçons vivent des expériences de rejet, d'humiliation, de solitude ou d'échec relationnel avec des filles, qu'ils vont réprimer dans un souci de ne pas dévier des normes de masculinité traditionnelle. Les discours masculinistes leur offrent une explication simplifiée et gratifiante: «Ce n'est pas toi le problème, ce sont les femmes et le féminisme.» Cela crée un sentiment d'appartenance à une communauté qui légitime leur ressenti et leur promet de regagner du contrôle. En parallèle, très peu de modèles masculins alternatifs, nuancés, accessibles et crédibles à leurs yeux sont mis de l'avant dans les médias, et les écoles ont peu de leviers pour déconstruire les discours masculinistes et antiféministes qui ont infiltré les réseaux sociaux des jeunes.
La série Adolescence peut-elle servir d'outil éducatif dans les écoles?
La série Adolescence met en lumière des expériences que vivent de nombreux jeunes: des pressions à la conformité sociale, une difficulté à accepter le rejet ou l'indifférence, sans s'y limiter. Parce qu'elle propose une mise en scène sensible plutôt qu'un discours moralisateur, cette série peut servir de déclencheur à la réflexion et au dialogue. Elle peut aider les jeunes à mettre des mots sur ce qu'ils vivent, à reconnaître certaines situations ou à questionner ce qui leur semblait normal ou banal.
Cependant, pour qu'elle devienne un outil éducatif efficace, elle doit absolument être accompagnée d'un cadre sécurisant animé par des personnes formées, qui seront aptes à aborder des discussions délicates et à répondre à des commentaires inappropriés. Si la série est présentée sans préparation adéquate, sans discussion structurée ni questions réflexives, elle risque de perdre sa portée éducative. Présenter des scènes montrant des violences et des discours misogynes à certains garçons qui sont déjà exposés à ces discours pourrait d'ailleurs être contre-productif et dommageable: cela pourrait susciter des moqueries face aux scènes inconfortables, une désensibilisation aux enjeux présentés, voire une glorification de la violence envers les femmes. Certaines scènes pourraient également raviver des souvenirs douloureux ou déclencher une détresse chez des jeunes ayant subi des violences sexistes et sexuelles. Sans balises claires et sans encadrement sécurisant, ces jeunes pourraient se sentir invalidés si leurs pairs réagissent par des moqueries ou des discours haineux. Il est donc essentiel de prévoir des mécanismes de réflexion, d'accompagnement et de soutien pour que la série serve réellement d'outil éducatif, et non d'expérience retraumatisante ou susceptible de renforcer l'adhésion à des discours misogynes.
Propos recueillis par Manon Plante