
— Anirudh Koul
Pour la première fois depuis la saison 2020-2021, le Canadien de Montréal est dans la course aux séries de fin de saison. Cette possible participation soulève un vent d'enthousiasme dans la population, même chez des personnes qui suivent distraitement le hockey. Simon Grondin, professeur à l'École de psychologie de l'Université Laval, auteur de LNH 101 – Testez vos connaissances, Le hockey vu du divan ainsi que Les faits saillants du match: les 100 ans de la LNH, et grand amateur de hockey, analyse le phénomène.
Il y a quelques décennies, la question que se posaient les analystes sportifs au début de chaque saison de hockey n'était pas de savoir si le Canadien allait faire les séries, mais si l'équipe allait remporter la coupe Stanley. Comment expliquer qu'une simple participation aux séries soit maintenant accueillie comme un exploit?
Il faut voir que la Ligue nationale de hockey (LNH) a beaucoup changé au fil des décennies. Après des fluctuations allant de 3 à 10 équipes entre 1917-1918 et 1941-1942, la ligue ne comptait que 6 équipes au cours du quart de siècle suivant, et 4 d'entre elles faisaient les séries. Durant ces 25 ans, le Canadien a accumulé de nombreux championnats. En 1967, au moment où la ligue est passée de 6 à 12 équipes, le Canadien avait de nombreux joueurs de qualité à sa disposition pour préparer le terrain de la décennie suivante. Le Canadien est ensuite devenu une équipe parmi 21 (1979-1980), et aujourd'hui parmi 32. Maintenant que 16 équipes sur 32 ne prennent pas part aux séries, juste se qualifier pour celles-ci justifie une certaine ferveur!
Nous vivons maintenant dans un monde globalisé auquel ni le Québec ni le hockey ne peut échapper. Il y a de nombreux joueurs de qualité en dehors de l'Amérique du Nord et former une équipe gagnante alors qu'il y a 31 compétiteurs n'est pas une mince affaire. Bref, il était plus facile autrefois d'être les meilleurs au hockey parce que le contexte était différent. Les partisans sont réalistes et ils ont modulé leurs attentes en conséquence.
Pourquoi un événement aussi banal que la participation d'une équipe sportive aux séries de fin de saison suscite-t-il autant d'intérêt et d'émotions dans la population?
J'ai parfois l'impression qu'il y a 2 millions d'amateurs du Canadien à Montréal, mais seulement 10 000 amateurs de hockey! Si le Canadien n'est pas des séries, nous n'avons aucun mal à délaisser le hockey pour profiter du beau temps. Mais attention! Les partisans ne souhaitent pas seulement que le Canadien fasse les séries, ils souhaitent eux aussi faire les séries. Les gens parlent parfois comme si le club leur appartenait ou comme s'ils en faisaient partie, ce qui n'est pas tout à fait faux. Sans les partisans, il n'y a pas d'effervescence et faire les séries est effectivement banal.
Par ailleurs, les gens se projettent dans leur équipe ou dans certains joueurs. Par exemple, certains tireront une immense satisfaction à voir Arber Xhekaj malmener un adversaire. D'autres se laisseront plutôt émerveiller par la finesse, la ténacité et la créativité de Lane Hutson. Par ailleurs, les jeunes joueurs de l'équipe représentent l'espoir d'un avenir meilleur, et cela procure de la joie. Enfin, à travers cette course aux séries où le but, si banal soit-il dans l'absolu, a le mérite d'être clair, on assiste aussi à des leçons de courage, par exemple se dépasser malgré les blessures. La lutte pour une place en série nous permet d'être témoins de la beauté de l'engagement et de l'effort collectifs.
L'actualité mondiale est marquée par des guerres, des catastrophes naturelles et des bouleversements politiques. Est-il excusable de mettre temporairement de côté les malheurs du monde et de se laisser gagner par l'enthousiasme collectif généré par une équipe de sport?
Je pense que c'est non seulement excusable, mais il y a probablement là-dedans quelque chose de bénéfique, de salutaire. Si on se laisse atteindre par le malheur que vit son prochain à travers les guerres, les catastrophes naturelles ou les fourberies de la politique américaine ou canadienne, nous risquons d'avoir envie de crier de colère. Nous ne le faisons pas. Mais en regardant un match de notre équipe, dans une foule à l'aréna ou à la maison avec famille et amis, il est permis de crier sa joie ou de manifester son insatisfaction. C'est un exutoire. Aussi, il y a là une occasion d'être ensemble, alors que nous sommes si souvent isolés et divisés.
Cela dit, si la crise s'aggravait et que la pauvreté s'étendait davantage au Québec, il pourrait arriver que les tensions sociales soient telles que ça devienne un peu indécent «d'encourager des multimillionnaires», comme dit le cliché. Pour certains, ce point est atteint depuis longtemps. Mais pour l'instant, une majorité de personnes semble trouver du réconfort dans la force du collectif. Cela donne l'impression que tout ne va pas si mal, que la vie continue.
Propos recueillis par Jean Hamann