
Dans la dernière année, le Canada a produit 1,9 milliard de barils de pétrole. Par ailleurs, le pays est déjà alimenté à 65% par de l'énergie renouvelable.
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Dans son discours de victoire, au terme de la récente campagne électorale fédérale, le lundi 28 avril dernier, le chef du Parti libéral du Canada, Mark Carney, a réaffirmé vouloir faire de ce pays une «superpuissance énergétique». Le professeur du Département d'économique, Patrick Gonzalez, membre du Centre de recherche en économie de l'environnement, de l'agroalimentaire, des transports et de l'énergie de l'Université Laval, analyse ce qui constitue l'un des principaux engagements pris par le premier ministre durant la campagne électorale.
Comment ce projet de superpuissance énergétique s'harmonisera-t-il avec la transition énergétique en cours au Canada et dans le monde?
La «transition énergétique» n'est qu'un slogan pour ceux qui appellent une transformation rapide et planifiée de notre économie fondée sur les carburants fossiles. Elle aura lieu, mais, tout comme la «transition énergétique fossile» du siècle dernier, elle prendra du temps et n'aura rien de planifié. Les autorités publiques sont toujours les premières à dévier des plans qu'elles ont conçus. Le Parti libéral du Canada vient d'abandonner la taxe carbone qui était jusqu'à récemment un élément clé de son plan de lutte contre les gaz à effet de serre (GES). Dans ce siècle, les gouvernements provinciaux et fédéral ne sont jamais parvenus à atteindre les cibles de réduction de GES qu'ils s'étaient données. France, Angleterre, et autres ne font pas mieux.
Ceci pour dire que les deux dossiers, la transition énergétique et le développement économique, seront toujours traités en définitive séparément. Les «contradictions» que l'on peut percevoir entre la transition énergétique et le développement économique peuvent alimenter les discussions de salon, mais elles ont peu d'emprise en réalité.
La demande mondiale de pétrole est appelée à diminuer, c'est vrai, mais elle avoisine toujours les 100 millions de barils par jour et n'a pas vraiment bougé depuis dix ans. C'est un important marché qui intéresse le Canada. Il ne s'agit pas tant d'harmoniser des objectifs de transition énergétique et de développement économique – ce qui n'est pas toujours possible –, mais de réconcilier les Canadiens. On doit être d'accord de ne pas toujours être d'accord.
Quelle place les énergies renouvelables telles que le solaire, l'éolien et l'hydro-électricité, qui sont aussi visées par le projet de superpuissance énergétique, occupent-elles actuellement dans l'économie canadienne et quelle importance auront-elles d'ici quelques années?
L'hydroélectricité est depuis longtemps exploitée lorsqu'elle est accessible depuis les centres de consommation. Quant à l'éolien et au solaire, cela dépend de l'étendue du réseau et de la capacité de stockage (les piles). Des améliorations dans le stockage et la souplesse du réseau permettront d'y insérer davantage d'énergie renouvelable dans l'avenir. La Californie, par exemple, est principalement électrifiée par du solaire pendant la journée. Le Canada dispose d'intéressants gisements de vent et de soleil, mais la nécessaire proximité des centres de consommation demeure un enjeu: on aime bien l'électricité renouvelable tant qu'on n'a pas une éolienne devant sa fenêtre.
Le réseau électrique canadien est déjà alimenté à 65% par de l'énergie renouvelable. Au Québec, c'est 99%. Le problème concerne les provinces qui n'ont pas beaucoup d'énergie hydraulique ou nucléaire, mais qui ont tout de même délaissé le charbon pour le gaz naturel, beaucoup moins polluant. L'Alberta obtient 78% de son énergie électrique de combustibles. C'est là où le potentiel de développer les énergies renouvelables est le plus grand et c'est d'ailleurs ce que l'on fait: l'Alberta se classe au premier rang en matière de production d'énergie solaire au pays et au second pour l'éolien, derrière l'Ontario et devant le Québec. Le gaz naturel est là pour longtemps, mais les énergies renouvelables gagneront en importance dans l'avenir.
Là où c'est plus problématique, c'est dans le secteur industriel. Au Canada, les industries de toutes sortes consomment 78% de l'énergie produite. Le secteur pétrolier en consomme 19% à lui seul. Dans plusieurs industries (les raffineries, les cimenteries et la sidérurgie), l'électricité produite par les énergies renouvelables n'est pas un bon substitut. Il n'est pas facile de remplacer le diesel dans les activités forestières et minières.
Le plan du premier ministre Carney prévoit de nouveaux oléoducs qui prendront plusieurs années à construire. Quels seront les besoins canadiens et internationaux en pétrole et en gaz naturel lorsque ces infrastructures de transport seront prêtes à fonctionner?
Certains avancent que ces infrastructures seront déjà obsolètes au moment de leur mise en service. Cet argument ne convainc que ceux qui continuent de croire au «plan» que j'ai déjà remis en question. Oui, si tout se déroulait comme prévu, investir dans de nouvelles infrastructures pour le transport du pétrole ne serait sans doute pas judicieux. Mais si l'on doute du plan, c'est au marché que l'on se fie. Or, les compagnies qui développent ces projets – et les banques qui les financent – font aussi des plans. Contrairement aux gouvernements, leurs plans sont plus modestes et plus ciblés. Elles évaluent si le rendement, aussi incertain soit-il, compense le coût, tout aussi incertain. Si elles jugent que oui, c'est sans doute parce qu'elles anticipent que la demande ne chutera pas aussi vite qu'on l'avait prévu.
C'est un argument instrumental dans le débat qui oppose les verts qui veulent donner un grand coup de frein aux activités industrielles au pays et ceux qui estiment qu'on peut être vert chez soi tout en vendant du pétrole aux autres. L'argument est fragile, mais le débat est réel. Les activités industrielles concernent une minorité de Canadiens, souvent éloignés des grands centres urbains. La réticence face à de nouveaux projets d'exploitation – gaz de schiste, mines, etc. – est aussi forte ici qu'elle le serait chez un résident moyen du Massachusetts.
D'un autre côté, le niveau de vie de bien des Canadiens en dépend. Nos exportations de biens comptent pour 30% de notre produit intérieur brut, mais pour 46% de nos émissions de GES. La différence est surtout attribuable à l'exploitation du pétrole dans l'Ouest du pays. Dans la dernière année, le Canada a produit 1,9 milliard de barils de pétrole et en a exporté 1,4 milliard aux États-Unis. À 50$ le baril, ça fait beaucoup de dollars.
Le défi du premier ministre Carney sera de concilier développement énergétique et responsabilité climatique – une promesse à laquelle peu de gouvernements ont encore su donner un contenu durable – dans un pays où les ressources naturelles sont de juridiction provinciale.
Propos recueillis par Yvon Larose