
— Getty Images, alvarez
Le président américain Donald Trump a suspendu pour un mois la hausse des tarifs douaniers de 25% sur les produits canadiens et mexicains. Cette décision survient après des engagements à renforcer les contrôles aux frontières pour limiter l'afflux de personnes migrantes et de fentanyl aux États-Unis. Voici une analyse de Jean-Frédéric Morin, professeur au Département de science politique et membre de l'École supérieure d'études internationales.
À votre avis, pourquoi le président Trump menace-t-il le Canada de tarifs douaniers?
La question des migrants et du fentanyl n'est qu'un prétexte maladroit pour justifier une hausse des tarifs sous couvert d'une urgence nationale. Ce ne sont pas les véritables enjeux. Je ne pense pas non plus que ce soit pour augmenter les recettes du Trésor américain ou pour stimuler les investissements aux États-Unis. Il est incontestable que des tarifs douaniers fragiliseraient l'économie américaine.
Contrairement à certains de mes collègues, je ne pense pas que l'objectif soit d'extorquer des concessions précises du Canada dans une négociation à venir, que ce soit le démantèlement de la gestion de l'offre en agriculture, la libéralisation du secteur bancaire, ou l'installation de forces armées américaines en Arctique. Le Canada devra probablement faire plusieurs concessions au cours des prochaines années pour acheter du temps ou la paix commerciale, mais cela ne signifie pas que ces concessions soient les objectifs poursuivis par le président Trump. L'hypothèse qu'il s'agit du premier coup d'une stratégie à long terme attribue trop de crédit aux capacités de planification de l'administration Trump.
Je crois plus simplement que cela reflète un désir de choquer, de déstabiliser et de montrer son imprévisibilité. C'est une démonstration outrancière de force et d'indépendance, déployée face au reste du monde et à sa propre population. Cet étalage de puissance n'est pas un moyen, mais une fin en soi.
L'administration Trump a-t-elle bien mesuré le coût économique d'une guerre commerciale?
Le président Trump affiche une méconnaissance profonde du commerce international. Il semble confondre le bilan d'une entreprise avec celui de l'économie nationale. Bien sûr, une entreprise qui dépense continuellement plus qu'elle ne génère de revenus court à sa perte. Toutefois, l'économie américaine peut soutenir un déficit commercial sans en subir de contrecoups. Non seulement de nombreuses entreprises américaines bénéficient de leurs importations, mais des investisseurs américains produisent souvent ces biens à l'étranger. Comme les États-Unis sont les premiers exportateurs de capitaux au monde et que le dollar américain sert de principale monnaie de réserve, ils n'ont pas besoin d'avoir une balance commerciale positive.
Le président Trump croit à tort que le commerce est un «jeu à somme nulle», c'est-à-dire un jeu compétitif où il ne peut y avoir qu'un seul gagnant. Cela rappelle le jeu de Monopoly: chaque gain d'un joueur affaiblit les autres. Or, le commerce international fonctionne davantage comme un jeu coopératif, à l'image du jeu de société Pandémie. Dans une relation de libre-échange, les deux économies profitent de la relation, même si l'une peut en bénéficier plus que l'autre, tandis que le protectionnisme tend à affaiblir les deux économies, même si l'une peut en souffrir plus que l'autre. Imposer des tarifs douaniers de 25% au Canada reviendrait à jouer au Monopoly sur un plateau de Pandémie!
Quelles stratégies le Canada devrait-il adopter si les États-Unis mettent leur menace à exécution au terme du sursis de 30 jours?
À court terme, nous devrons restreindre les importations américaines non essentielles à notre économie et réviser les politiques d'achat des entités publiques. Plusieurs de ces mesures affaibliront l'économie canadienne et briseront nos engagements internationaux, mais ce sera nécessaire dans les circonstances.
La recherche démontre que la dissuasion fonctionne beaucoup mieux lorsqu'elle est clairement communiquée. Le Canada doit annoncer à l'avance et avec précision tous les produits américains qui seront ciblés par des tarifs canadiens si l'administration Trump va de l'avant. Il est moins important d'imposer des tarifs pour une valeur équivalente à ceux que subira le Canada que de frapper avec force des secteurs qui fragiliseront politiquement l'administration Trump.
Dès maintenant, le Canada doit soutenir la formation d'une coalition d'acteurs politiques et économiques américains qui dépendent du marché canadien. Il faut aussi rapidement libéraliser le commerce avec d'autres régions du monde pour diversifier nos fournisseurs et clients.
Pour améliorer la résilience économique et politique du Canada, il faudra élaborer des programmes d'aide pour les secteurs vulnérables. Il sera également nécessaire d'avoir l'œil sur les entreprises canadiennes; certaines pourraient être tentées de profiter de l'absence temporaire de concurrents américains pour augmenter leurs prix ou relâcher leur productivité.
Si les États-Unis surenchérissent, les mesures canadiennes de rétorsion ne devraient pas se limiter au commerce. Restreindre l'importation d'alcool et d'oranges provenant des États-Unis sera insuffisant. Menacer d'imposer une taxe sur l'exportation de pétrole n'est pas une menace crédible dans le contexte politique canadien. En revanche, réduire la protection des brevets américains pourrait sérieusement affecter certains secteurs de l'économie américaine sans nuire aux producteurs et aux consommateurs canadiens. Ce pourrait même être l'occasion de développer davantage les capacités technologiques du Canada.
Ce conflit commercial pourrait aussi être une occasion pour libéraliser davantage le commerce interprovincial. On sait que des règlements de toutes sortes ralentissent le commerce entre les provinces. Le vent de protectionnisme qui souffle au sud du Canada pourrait donner le momentum politique nécessaire pour la libéralisation interprovinciale.
Dans tous les cas, les quatre prochaines années promettent d'être tumultueuses pour le commerce canadien.