
Selon une étude de la Banque de développement du Canada publiée le 10 novembre, la fréquence du TDAH serait un peu plus élevée chez les propriétaires d'entreprise que dans la population. Les résultats indiquent que 7% de ces propriétaires ont reçu un diagnostic professionnel de TDAH, tandis que ce taux est, d'après cette étude, d'environ 4 à 6% chez les adultes canadiens.
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À l’occasion de la Semaine mondiale de l’entrepreneuriat, un expert de l'esprit entrepreneurial et une spécialiste en neurosciences se sont alliés pour analyser un fait intrigant: l'incidence légèrement plus élevée du trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez les personnes entrepreneures. Matthias Pepin, professeur à la Faculté des sciences de l'administration, et Roxane Hoyer, chercheuse à la Faculté de médecine, se penchent sur les effets que le TDAH peut avoir sur le parcours entrepreneurial.
Roxane Hoyer, comment définit-on le TDAH d’un point de vue clinique?
Le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité est un trouble neurodéveloppemental qui apparaît dans l’enfance et persiste souvent à l’âge adulte. Il résulte d’un dysfonctionnement des réseaux neuronaux soutenant l’attention et les fonctions exécutives, qui sont en quelque sorte les «outils de gestion» du cerveau.
On distingue deux catégories de symptômes pour le TDAH: l’inattention (difficulté à maintenir son attention, forte tendance à se laisser distraire, oublis fréquents, difficulté à terminer des tâches ou des projets) et l’hyperactivité et/ou l’impulsivité, qui peut être physique (bouger beaucoup, couper la parole) ou mentale (flux d’idées, sensation d’être «toujours en marche»). Dans la pratique, ces deux dimensions coexistent le plus souvent, à des degrés variables.
D’un point de vue clinique, un critère essentiel est que ces manifestations ne surviennent pas dans un seul contexte. Pour parler de TDAH, les symptômes doivent être présents dans au moins deux milieux de vie (typiquement à la maison et au travail) et entraîner une atteinte réelle du fonctionnement quotidien.
Au Québec, le diagnostic doit être posé à la suite d’une évaluation clinique complète réalisée par un médecin, un psychiatre ou un psychologue, parfois en collaboration avec d’autres professionnels qualifiés. Cette démarche vise à distinguer les simples difficultés de concentration des troubles attentionnels qui nécessitent une intervention adaptée. Il est important de différencier les profils cliniques (diagnostiqués) des variations attentionnelles qui s’écartent de la norme sans toutefois atteindre le seuil diagnostique du TDAH. Une récente synthèse* des études canadiennes de la dernière décennie estime la proportion d’adultes ayant reçu un diagnostic clinique de TDAH à environ 2,9 %, avec des variations selon la province, le sexe et l’âge. Les chiffres plus élevés rapportés par certains organismes reflètent généralement des méthodologies différentes et peuvent aussi découler de caractéristiques d’échantillonnage propres à chaque estimation.
Matthias Pepin, quels sont les liens documentés entre TDAH et entrepreneuriat?
Les recherches scientifiques disponibles montrent un lien entre les profils présentant des niveaux élevés d’inattention et/ou d’hyperactivité et l’entrepreneuriat. D’abord, on observe que ces profils sont attirés par l’idée de créer une entreprise. L’entrepreneuriat offre en effet une plus grande autonomie, un environnement moins routinier et la possibilité de suivre ses intérêts: des conditions souvent appréciées des personnes ayant un TDAH et des profils plus facilement distraits ou hyperactifs.
Les recherches montrent aussi que tous les problèmes attentionnels ne sont pas liés de la même manière à l’entrepreneuriat. L’hyperactivité et l’impulsivité peuvent favoriser la créativité, la prise d’initiatives, l’innovation et la capacité à passer rapidement à autre chose en cas d’échec. Cependant, ces caractéristiques sont surtout liées à l’entrée en entrepreneuriat et moins à la croissance durable ou à la performance de l’entreprise. En revanche, le déficit d’attention n’est pas associé à une plus grande intention entrepreneuriale. Par ailleurs, l’inattention peut compliquer la gestion, la planification financière ou le suivi administratif de l’entreprise.
Dans l’ensemble, les travaux disponibles soulignent que la relation entre TDAH et entrepreneuriat n’est pas uniforme: elle varie selon les profils, les types de symptômes et les tâches impliquées. Les recherches concordent sur un point central: les caractéristiques liées au TDAH ne sont ni un défaut ni un superpouvoir et elles ne déterminent pas à elles seules la trajectoire entrepreneuriale. La diversité des profils symptomatiques observés dans les études ainsi que les effets distincts qu’ils exercent sur l’activité entrepreneuriale expliquent pourquoi les liens entre TDAH et entrepreneuriat doivent être nuancés.

Matthias Pepin est professeur à la Faculté des sciences de l’administration et cotitulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur le développement de l’esprit d’entreprendre et de l’entrepreneuriat. Roxane Hoyer est chercheuse affiliée à la Chaire d’excellence en recherche du Canada en neuroplasticité à la Faculté de médecine.
À tous les deux, pourquoi observe-t-on à la fois une surreprésentation du TDAH, une insatisfaction au travail et une santé mentale plus fragile chez les personnes entrepreneures?
Certaines caractéristiques associées au TDAH peuvent favoriser l’entrée en entrepreneuriat, mais peuvent s’avérer délétères pour le succès à long terme. Une énergie élevée peut soutenir l’engagement, une pensée rapide peut favoriser l’innovation et une impulsivité modérée peut aider à repérer des opportunités. Un profil plus réactif peut donc percevoir rapidement qu’un marché bouge et décider de s’y positionner. À l’inverse, une impulsivité plus marquée peut pousser à choisir une opportunité mal évaluée, à accepter un partenariat risqué ou à lancer plusieurs projets sans réelle stratégie.
L’entrepreneuriat repose par ailleurs sur une planification constante, une organisation rigoureuse et une gestion du temps soutenue, des capacités souvent fragilisées dans le TDAH et les difficultés attentionnelles. Les tâches répétitives, la charge administrative ou l’absence de structure peuvent créer une surcharge cognitive et émotionnelle. S’ajoutent des facteurs contextuels aggravants comme l’isolement, la pression financière, l’incertitude quotidienne et la responsabilité totale du projet, qui peuvent favoriser l’épuisement, l’anxiété et le sentiment d’être dépassé.
À cela se superposent des aspects identitaires. Beaucoup d’adultes ayant un TDAH ou des difficultés attentionnelles ont connu, depuis l’enfance, des critiques répétées ou une sous-estimation de leurs capacités, ce qui peut renforcer le doute de soi, la peur de l’erreur ou une hyperréactivité aux revers typiques de l’entrepreneuriat. Au bout du compte, cette combinaison d’attirance pour un milieu stimulant jumelée à l’exposition accrue à des exigences qui pèsent lourd sur les fonctions exécutives crée un terrain où l’enthousiasme et la créativité cohabitent avec un risque plus élevé de fatigue psychologique et d’insatisfaction professionnelle.
* Espinet et al., 2022.
Propos recueillis par Manon Plante

























