4 juin 2025
Trois questions sur les soubresauts boursiers à l'ère Trump
Le professeur Stéphane Chrétien se penche sur les importantes fluctuations des marchés américains et canadiens consécutives au «Jour de la libération», sur les possibilités d'une récession ou d'une stagflation, et sur les réactions des investisseurs canadiens

Sur Wall Street se trouve la bourse de New York, le New York Stock Exchange, aussi appelé Wall Street. Fondée en 1792, cette bourse est la plus importante au monde avec une capitalisation dépassant les 30 000 milliards de dollars en 2025.
— Getty Images
Depuis minuit une, le mercredi 4 juin, le Canada est sous le coup de la plus récente hausse tarifaire de l'administration américaine. Dans la guerre commerciale qui oppose les deux pays, ce nouveau coup de massue vient doubler les droits de douane de 25% qui étaient déjà imposés aux exportateurs canadiens de l'acier et de l'aluminium. Le professeur Stéphane Chrétien, un expert en placements, services financiers, gestion de portefeuille, mesure de performance, évaluation des actifs et économétrie financière, explique le comportement des places boursières nord-américaines, de l'économie et des investisseurs depuis le début de la guerre tarifaire il y a deux mois.
Quelle a été la réaction des marchés boursiers américains et canadiens depuis le début de la guerre commerciale entre les États-Unis et le monde?
Le mercredi 2 avril 2025, lors d'un événement intitulé le «Jour de la libération» tenu après la fermeture des marchés financiers, le président Trump a annoncé une nouvelle politique commerciale mondiale avec l'introduction de nombreux tarifs déterminés en fonction de la balance commerciale des États-Unis avec chacun des pays. La réaction des marchés boursiers a été immédiate: dès le lendemain l'indice américain S&P 500 perdait 4,8% de sa valeur alors que l'indice canadien S&P/TSX perdait 3,8% de sa valeur.
Au cours des jours suivants, les investisseurs ont fait face à de nombreuses questions sur la nouvelle politique commerciale américaine et au déclenchement d'une guerre tarifaire entre les États-Unis et de nombreux pays, dont le Canada. En réaction, les marchés boursiers ont poursuivi leur chute. Quatre jours après l'annonce du 2 avril, les indices américain et canadien avaient perdu 12,1% et 11,1% de leur valeur, respectivement.
Une façon de saisir l'incertitude ou le pessimisme qui s'est propagé dans les marchés boursiers au cours de cette période tumultueuse est d'examiner l'indice VIX, qui mesure la volatilité anticipée dans le marché boursier américain au cours des prochains mois. Lors des 4 jours suivant l'annonce du 2 avril, l'indice VIX a monté de 143,3%, suggérant une incertitude dans les marchés boursiers qui a plus que doublé.
Une des conséquences possibles de la guerre commerciale est une récession. Si c'est le cas, comment les marchés boursiers réagiront-ils?
Après l'annonce du 2 avril, plusieurs analyses ont avancé que la probabilité d'une récession venait d'augmenter significativement, allant jusqu'à 50%. Un constat général est qu'il y aura une récession si la guerre tarifaire se poursuit sans changement majeur. Les réactions boursières dont il a été question précédemment peuvent donc être partiellement attribuées à l'incorporation dans les prix d'une plus grande possibilité de récession. D'autres baisses boursières sont à prévoir si une récession se concrétise davantage.
Les analyses ont aussi souligné qu'un phénomène plus grave qu'une récession pourrait se produire: une stagflation. Il s'agit d'une situation avec un ralentissement de l'activité économique comme en récession, mais avec également une inflation élevée, causée par les tarifs. Dans une stagflation, il est difficile de mettre en place des mesures économiques pour à la fois stimuler la croissance et lutter contre la flambée des prix. Par exemple, si la Banque du Canada augmente son taux directeur pour réduire l'inflation, cela risque de ralentir davantage l'économie. Un taux plus élevé favorise l'épargne et réduit l'emprunt, ce qui amène une baisse de la consommation des particuliers et des investissements des entreprises.
Par ailleurs, les fortes réactions boursières, la hausse marquée de l'incertitude et les analyses économiques pessimistes ont semblé motiver l'administration Trump à suspendre ou diminuer de nombreux tarifs le temps de conclure des ententes commerciales. Plusieurs investisseurs ont vu ce geste comme un signe que des tarifs élevés représentaient une mesure temporaire plutôt que permanente, ce qui a fait monter les marchés boursiers.
A-t-on assisté, au Canada, à des ventes majeures d'actions américaines par les investisseurs canadiens, en riposte aux mesures américaines?
Je n'ai pas encore vu de données à ce sujet. En placement, les investisseurs sont encouragés à investir dans un portefeuille diversifié avec une perspective long terme, et à ne pas vendre leurs positions en périodes boursières difficiles, à des prix déprimés. Le mois suivant l'annonce du 2 avril est une bonne leçon en ce sens car, après la suspension des nombreux tarifs, les marchés boursiers ont rapidement rebondi: les indices boursiers américains et canadiens ainsi que l'indice VIX ont tous retrouvé leur niveau pré-Jour de la libération. Les investisseurs qui ont liquidé leurs positions américaines trop rapidement ont potentiellement perdu beaucoup d'argent.
Le marché boursier américain représente environ 70% de la valeur boursière internationale, alors il est difficile de l'exclure d'une stratégie en actions mondiales pour les investisseurs institutionnels. Cependant, à la fin 2024, la plupart des portefeuilles se sont retrouvés avec une surpondération en actions américaines, le marché américain ayant considérablement surperformé en 2023 et 2024. De nombreux investisseurs avaient donc comme objectif de diminuer leurs positions américaines en vue de rééquilibrer leur portefeuille. Même si la motivation profonde de ces changements n'est pas une riposte aux mesures américaines, il semble que leur synchronisme soit tombé à point.
Comme un moratoire d'environ trois mois a été décrété sur plusieurs tarifs annoncés le 2 avril, il reste à voir comment la politique commerciale mondiale des États-Unis sera articulée une fois ce délai expiré. Qui sait, les marchés boursiers sont peut-être en voie de connaître d'autres fortes réactions.
De ce temps-ci, il y a aussi beaucoup de discussions sur le budget américain, appelé le «Big Beautiful Bill» par le président Trump, et les marchés doivent réagir à ces nouvelles tout autant, sinon plus, qu'aux nouvelles sur les tarifs. Il ne faut donc pas attribuer les récents mouvements boursiers uniquement à la discussion sur les tarifs, alors que ceux-ci occupaient presque toute la place après l'annonce du Jour de la libération.
Propos recueillis par Yvon Larose