
Dès la rentrée 2025, il sera interdit aux élèves du primaire et du secondaire d’utiliser les cellulaires et les tablettes durant les cours, les pauses et l’heure du dîner, autant entre les murs des écoles que sur le terrain extérieur.
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Le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, a annoncé le 1er mai que les cellulaires et autres appareils mobiles ne seront plus les bienvenus dans les écoles lors de la prochaine rentrée. Beaucoup d'adolescentes et adolescents se rebellent contre cette interdiction, mais selon Andréanne Gagné, professeure à la Faculté des sciences de l'éducation, la mesure a été prise dans le but de soutenir leur développement et leur apprentissage.
Pourquoi le gouvernement a-t-il pris la décision d'interdire les cellulaires?
Plusieurs adolescents et leurs parents semblent avoir été pris de court, mais cette décision était attendue. Elle découle de la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes, une commission transpartisane qui a été créée en juin 2024. Les commissions transpartisanes sont rares au Québec – la dernière portait sur la question du droit de mourir dans la dignité. En créer une dénote l'importance de l'enjeu qu'elle étudie pour l'ensemble des parlementaires.
La décision n'émane donc pas d'une lubie du ministre, mais a été rendue au terme d'une consultation exhaustive. De manière générale, les opinions des experts lors des audiences convergeaient vers l'adoption de cette politique. Quelques bémols ont toutefois été soulevés. Par exemple, les adolescents isolés ou ceux qui ont des difficultés de socialisation utilisent leur cellulaire durant les pauses pour socialiser sur les réseaux, ce qui est une bonne chose pour eux. Ou encore un élève qui a besoin d'aide durant les heures d'école peut accéder à des ressources grâce à son téléphone.
Cependant, deux éléments ont fait pencher la balance vers l'interdiction du cellulaire. Le premier est la réussite des écoles secondaires qui ont déjà volontairement interdit les écrans. Les experts de la Commission les ont visitées et, de l'avis même des élèves réticents au départ, l'expérience s'est avérée positive et bénéfique. Le deuxième élément est le rapport du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui signale que beaucoup d'activités criminelles et d'actes d'intimidation chez les jeunes prennent naissance à l'école. Le SPVM est d'avis que retirer le cellulaire des écoles diminuerait l'exposition à la criminalité et réduirait les actes d'intimidation commis à partir de l'école.
Quels sont les effets négatifs des écrans sur le développement et la santé des jeunes?
Il y a d'abord les effets des écrans dus à la substitution. Si on prend une journée de 24 heures et qu'on y intègre les recommandations en matière de santé et d'activités bénéfiques pour le développement de l'enfant (sommeil, repas en famille, activité physique) ainsi que les activités quotidiennes (hygiène, transport, devoirs), l'enfant dispose d'assez peu de temps libre par jour. Malgré cela, on sait qu'une grande partie des jeunes passent plus de deux heures par jour devant l'écran. Ce temps se substitue donc à du temps d'activités qui seraient bénéfiques à son développement. Le phénomène de substitution est l'une des grandes hypothèses avancées par les chercheurs pour expliquer les différents effets négatifs observés.
Ensuite, il y a les effets provoqués par la technoférence, c'est-à-dire l'interruption provoquée par l'usage d'un appareil mobile lors d'une activité. En milieu scolaire, on sait que le simple fait pour un jeune de regarder son cellulaire, même si celui-ci est simplement posé sur la table sans qu'il puisse voir l'écran, a un effet sur l'attention. On parle également de «technoférence secondaire», en référence à la fumée secondaire du tabac. En classe, un adolescent qui regarde un contenu non lié à l'activité éducative sur un cellulaire ou une tablette va distraire les autres élèves qui ont son écran dans leur champ de vision. On peut imaginer l'effet de dilution de l'attention dans une classe si deux ou trois élèves se mettent à consulter leur cellulaire.
À la suite de cette mesure, à quelles répercussions peut-on s'attendre dans les écoles du Québec?
L'expérience positive des écoles qui ont déjà volontairement mis en place la mesure laisse supposer que le retrait des cellulaires aura des répercussions positives. Par contre, ces écoles avaient pris le temps de planifier le changement. L'imposer à toutes les autres, dans un court laps de temps, ça peut poser problème. Les écoles n'ont pas toutes les mêmes besoins et les mêmes ressources. Or, pour réussir la transition, il faut mettre en place des conditions gagnantes. Le cellulaire a deux fonctions principales pour les jeunes: le loisir et la communication, notamment avec les parents. Si on retire un loisir, il faut le remplacer par d'autres activités pour occuper les jeunes. Si on retire le canal de communication avec les parents, des familles habituées à ce lien continuel seront dépourvues. Il sera peut-être difficile pour des écoles mal préparées au changement de trouver des solutions.
Pour ma part, je crois que créer un espace éducatif où le jeune n'est pas exposé à des pensées interruptives sera très bénéfique. Si le jeune sait qu'entre 9h et 16h30, il ne peut pas aller consulter son pointage et sa position dans un jeu vidéo ou connaître les réactions à sa dernière publication sur TikTok, il sera moins déconcentré. Du moins, c'est le pari qui est fait!
J'ajouterai, en terminant, que certains auraient préféré qu'on éduque les jeunes à l'usage du cellulaire plutôt que l'interdire. Personnellement, je ne vois pas ces deux actions comme mutuellement exclusives. Développer la compétence numérique des jeunes fait déjà partie du programme scolaire et continuera d'en faire partie. Les écoles ne se débarrassent donc pas de leur responsabilité d'éducation. Elles continueront à développer la littératie numérique chez les jeunes.
Propos recueillis par Manon Plante